Être père, évolution ou révolution ?

Alors qu’ils représentent près de 7 millions de parents d’enfants mineurs, on s’intéresse en fait assez peu aux pères. Pourtant, autour d’eux gravitent des enjeux multiples.

En quoi la place des pères est-elle différente de celle qu’ils avaient hier ? Comment les pères voient-ils leur rôle dans la famille, dans la société ? Comment sécuriser et préserver le lien père-enfant ? Quels enjeux autour des congés parentaux en termes d’implication des pères, d’équilibre des rôles parentaux et pour l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Ce numéro de Réalités Familiales fait la lumière sur le rôle et la place des pères dans les familles et dans la société, grâce à l’éclairage de chercheurs, experts et témoins d’horizons différents.

Parmi eux, Nicole Prieur propose une perspective philosophique dans « Etre père, évolution ou révolution ?», à lire p. 14.

En savoir plus : https://www.unaf.fr/spip.php?article24177

Féminin/Masculin, comment les modèles se transmettent et se renforcent dans les relations de couple et de famille ? Comment faire évoluer les stéréotypes qui sont à l’origine de nombreuses souffrances ?

Conférence donnée à Lorient en mars 2018.

Les modèles traditionnels du féminin et du masculin se transmettent le plus souvent à notre insu à travers des gestes, comportements, paroles du quotidien dont on ne mesure pas toujours les conséquences. Ils peuvent engendrer chez les enfants, adolescents, femmes, hommes une mauvaise image de soi, de la culpabilité, entravant leur épanouissement et leur devenir. Quelquefois, il suffit de peu pour introduire les changements nécessaires qui permettront à chacun d’être reconnu dans sa singularité, dans ce qu’il a d’unique c’est à dire dans sa dignité propre.

Simone de Beauvoir déclarait « On ne nait pas femme, on le devient », elle dénonçait par cette formule courte mais efficace combien le féminin était une affaire culturelle, forgée par les sociétés bien plus qu’une affaire de biologie et de nature. Si cela paraît à beaucoup d’entre nous presque évident aujourd’hui, tout le monde n’est pas encore convaincu. Cela a sonné et sonne encore dans certaines sociétés, comme une révolution plus ou moins acceptable, entendable. Pendant des siècles, pour ne pas dire depuis la nuit des temps, la position inférieure des femmes était justifiée par sa faible constitution et sa fragilité présumées « naturelles » comme sa moindre intelligence. A partir de ces représentations, quasi universelles, la place des femmes, leurs fonctions dans les familles, dans la société étaient déterminées et de là étaient définies également des identités, une femme devait être douce, délicate, discrète, obéissante, bonne mère, fidèle épouse, bonne fille, dévouée… J’en passe et des meilleurs.

Le sujet qui nous réunit aujourd’hui est passionnant à plusieurs titres :

D’abord, il faut reconnaître que nous avons la chance de pouvoir aborder ce débat, encore une fois, dans de nombreux pays, encore aujourd’hui, remettre en question l' »éternel féminin » est considéré comme une violation grave des règles ancestrales, les femmes subissent le pouvoir masculin non seulement sans oser le remettre en cause, mais aussi, en le légitimant elles aussi, en le considérant elles aussi comme « naturel ».

Ensuite, parce qu’aujourd’hui nous pouvons espérer l’aborder sereinement, c’est à dire au-delà d’un militantisme féministe ou machiste, qu’il est temps de dépasser. Il ne s’agit plus d’opposer pouvoir masculin et pouvoir féminin, il s’agit d’ailleurs pas de penser en termes de pouvoir, de revendications, mais de penser justice, égalité des chances.

Comment faire pour que les petites filles comme les petits garçons ne subissent pas les diktats des stéréotypes, qu’ils puissent réaliser le meilleur d’eux-mêmes, en osant se libérer de représentations obsolètes et pourtant encore tellement efficientes du féminin et du masculin ? car oui les hommes aussi sont soumis à ces injonctions : «  il ne faut pas pleurer, être trop sensible, montrer trop ses sentiments »…

Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir oser être soi, en tant qu’homme et en tant que femme, ce n’est pas toujours un chemin facile, d’autant plus qu’entre ce auquel on aspire et le réel, il y a souvent des écarts douloureux.

Et c’est ce point que je voudrais partager avec vous

Nous avons tous, plus ou moins clairement, envie de cette égalité, on sent bien qu’elle est nécessaire dans une société qui prône l’égalité, la liberté et la fraternité. Ne plus mépriser la moitié de la population, c’est à dire la respecter, ne pas la considérer comme soumise à nos désirs, donne de la dignité à notre société, la « grandit », c’est tout à notre honneur, hommes comme femmes de parvenir à nous émanciper de ces carcans. Mais voilà, nous n’y somme pas encore, les standards ancestraux se glissent, à notre insu dans des milliers de gestes quotidiens sans que nous en ayons conscience. Ils résistent à nos désirs d’évolution, d’égalité, de justice.

Dans un premier temps, regardons comment se transmettent un certain nombre de codes, encore une fois, à notre insu. Cela permettra d’en prendre conscience et d’agir autrement. Repérer ce qui fait obstacle à la bonne volonté de la plupart d’entre vous est important. On va le voir, c’est tout un écheveau touffu qui tisse sa toile invisible autour de ces représentations et nous emprisonnent malgré nous, malgré notre meilleure volonté.

Mais ce n’est pas tout, dans un deuxième temps nous nous pencherons sur les pistes nécessaires à mettre en place pour parvenir à un mieux vivre ensemble du féminin et du masculin.

Car, c’est bien cela le but, une mixité assumée, pacifiée.

Comment faire pour que nos petites filles, nos petits garçons, soient heureux de ce qu’ils sont, qu’ils soient fières d’eux et libres de choisir quelles femmes elles veulent devenir, quels hommes ils veulent être, tant il y a de modèles possibles, de manières différentes d’être femme et d’être homme ?

L’évolution des modèles traditionnels profitera à tous et à toutes, et permettra une meilleure compréhension mutuelle, entre autre en atténuant fortement la peur que nous pouvons encore avoir de « l’autre sexe », car il y a souvent de la peur derrière les représentations figées. Nous avons tous besoin, nous avons tous tout à gagner à nous libérer de ces carcans hérités du passé et qui n’ont plus de sens dans notre société moderne.

1. Les transmissions inconscientes et invisibles

Entre parents et enfants

Dés que les enfants découvrent la différence des sexes, les questions fusent sur le pourquoi « une petite fille ne fait pas pipi comme les petits garçons », « pourquoi il a un zizi et moi, pas »

Je passe très rapidement sur l’analyse de Freud qui considérait que les petites filles se construisaient avec le sentiment qu’il leur « manquait quelque chose » et que ce manque engendrait un sentiment de culpabilité. « j’ai eu, je n’ai plus, j’ai dû faire une faute, j’ai été punie »

Cette dimension psychique est bien entendu importante, mais n’est-elle pas aussi culturelle ? Au 19° siècle, les femmes n’avaient aucune place dans la société, les hommes détenaient tous les pouvoirs publics, financiers, politiques, professionnels, les femmes dépendaient financièrement de leur mari, donc oui, il leur manquait quelque chose, oui elles pouvaient regretter de ne pas être comme des hommes, oui, elles étaient inférieures, non pas parce qu’elles n’avaient pas de pénis, mais parce qu’elles n’avaient aucune légitimité sociale, représentation. Le phallus est bien le symbole du pouvoir, mais ce qui manque à la femme, ce n’est pas un pénis, c’est une place dans la société. Place qu’aujourd’hui elle a gagnée, indépendance financière, en partie acquise.

Sur le plan du manque, on pourrait aussi considérer que les garçons qui ne peuvent pas enfanter se sentent aussi en manque… Si on explique à une petite fille et à un petit garçon que chaque sexe a ses atouts et ses inconvénients, mais qu’ils sont complémentaires, nécessaires l’un à l’autre, alors les différences ne seront pas considérées comme concurrentes ni vécues comme opposées. Placer d’emblée le féminin et le masculin dans leur complémentarité, dans le respect des différences, cela permettre d’accueillir positivement les différences, de sortir du registre de la rivalité, du jugement, de la hiérarchie. En soi, ce n’est pas plus valorisant d’avoir un pénis ou un vagin ! si la culture ne venait pas jouer les troubles fêtes.

Tout cela est bien beau, notre but, une mixité pacifiée, c’est formidable, mais encore une fois, pas si facile que cela a mettre en œuvre concrètement. Même si dans notre tête nous sommes convaincus, nos gestes nous trahissent bien souvent.

Un des premiers livres qui ont décrit les gestes quotidiens que l’on fait sans s’en rendre compte, c’est un livre de Gianini Belotti, Du côté des petites filles, paru il y a environ 30 ans mais qui garde sa fraîcheur. Elle montre comment à travers des micro-gestes, les parents, dès la naissance, peut-être même aussi dès le désir d’enfant, la grossesse, vont déjà projeter sur leur fils ou leur fille des attentes marquées par les standards traditionnels, « un garçon sera costaud, une fillette mignonne, belle. » On admirera très tôt les signes qui renforcent ces caractéristiques, et elles seront survalorisées, forcément intégrées et ce sera facile ensuite de dire que c’est naturel.

Expérience des pyjamas bleus. Les bébés en pyjamas bleus étaient perçus comme plus toniques, plus robustes et ceux en pyjamas roses plus fins, plus délicats… alors que les couleurs avaient été inversées par rapport aux standards habituels ! (expérience récente)

Dans notre manière de parler à l’un ou à l’autre, nous confortons chez la petite fille la passivité, nous refrénons davantage et plus rapidement ses mouvements d’humeur, nous supportons moins ses colères, sa dépendance, nous aurons moins de patience.

Une étude vient aussi de montrer que les larmes chez les garçons sont perçues comme une manifestation de colère, et de peur chez une fille.

Tout cela constitue forcément un conditionnement implicite, il n’est pas besoin de dire explicitement « une petite fille ne doit pas ». Le modèle est tellement intégré qu’on le véhicule à notre insu et le transmet « naturellement ». Cela vient insidieusement.

Les petits services que l’on demande aux enfants sont aussi significatifs. Les filles effectuent des petits travaux relatifs à l’intérieur de la maisonnée, autour du soin, rangement… les garçons effectuent des travaux plutôt extérieurs.

Bien sûr, il y a des différences biologiques, mais elles vont être amplifiées et transformées :

Les petites filles s’intéressent plus à leur environnement, donc les adultes leur parlent davantage, ce qui permet de développer plus rapidement leur langage. Alors que les petits garçons ont plus besoin de se dépenser, de courir, leur entourage encouragera davantage les activités physiques, leur sourira moins, et les sollicitera moins par la parole.

Entre frère et sœur, on demandera plus de calme à la fille, on l’invitera à aider son frère, alors qu’elle doit apprendre à se débrouiller toute seule, de se passer -elle- d’aide, on tolérera davantage les colères du petit garçon, sa brusquerie. Implicitement, on pourra le laisser prendre le pouvoir sur sa sœur. On favorise les jeux physiques pour les uns, les loisirs manuels pour les autres. On exige qu’elles soient plus tranquilles, qu’elles mettent moins de désordre, et on accepte plus facilement de ranger derrière un garçon.

Pour les garçons ce n’est pas plus facile non plus. Ils ne doivent pas se laisser faire, sinon « tu es une mauviette », on s’inquiète quand ils sont timides ou timorées, il faut qu’ils se battent si on les embête, alors qu’aux filles on peut avoir tendance à leur dire de « ne pas écouter », de ne pas relever « laisse glisser, laisse passer ». Toujours ce maudit modèle : activité renforcée d’un côté, passivité de l’autre.

Ces exigences diverses pèsent jusqu’à l’âge adulte, sous forme de culpabilité chez les femmes qui ont peur de ne jamais en faire assez, et jamais suffisamment bien. Et chez les hommes qui craignent de ne pas être à la hauteur, et qui doutent d’eux-mêmes.

D’ailleurs, si en thérapie d’adultes, j’ai bien plus de femmes, en thérapie d’enfants, ce sont surtout les garçons qui sont amenés en consultation. On peut faire plusieurs hypothèses, plus fragiles ? On se soucie d’avantage d’eux, on est plus à l’écoute de leurs difficultés ?

Est-ce une des conséquences de tout cela ? mais on constate que les jeunes fille partent plus tôt du domicile familial que les garçons. Entre 18 et 21 ans, une jeune fille sur quatre ne vit plus déjà chez ses parents, contre seulement un jeune homme sur dix. Elles partent plus tôt car, en moyenne elles vivent en couple plus tôt et ont des enfants plus tôt. Mais pas seulement, on retrouve un écart important même lorsque les jeunes filles sont célibataires. Sont-elles mieux préparées à l’indépendance ?

Entre parents et enfants, la manière dont chaque parent a vécu/vit sa propre identité sexuée va bien entendu avoir un impact important. Si j’ai l’impression d’avoir été moins soutenue, reconnue par mes parents par rapport au frère ainé à qui on a payé de grandes études, si j’ai une fille, je vais chercher soit une réparation, je peux la « pousser » plus que son frère pour qu’elle réalise ce que je n’ai pas pu réaliser moi-même, lui apporter ce que je n’ai pas reçu de mes parents. Soit au contraire la maintenir dans cette place de « pauvre petite qui n’a pas de chance » pour bien valider que décidément les filles ne peuvent pas s’épanouir autant que les garçons.

Pour l’instant, ne changez rien auprès de vos enfants, mais observez-vous, demandez-vous de temps en temps quel message implicite vous faites passer, malgré vous à votre petite fille, à votre petit garçon. Observez vous mutuellement, père et mère, sous forme de jeux, et amusez-vous à petit à petit rectifier le tir, pas sous forme de reproches, mais comme un jeu de pistes, dans lequel vous découvrez de nouvelles évidences qui vous avaient échappées.

Les relations parents-enfants sont bien les premières influences reçues par l’enfant, mais elles sont loin d’être les seules. Admettons que vous avez été très vigilants, que vous n’êtes pas tombés dans le piège des modèles trop traditionnels, que votre inconscient ne vous a pas joué trop de tours, cela n’empêchera pas la part d’influence des autres lieux d’appartenance de votre enfant. Ce que les enfants découvrent autour d’eux, à la télé, auprès de leurs amis risque d’atténuer les effets de votre vigilance.

La transmission des modèles passe par bien d’autres créneaux que la famille

A l’école, au collège, lycée

Cela ne vient pas du corps enseignant, en général. Mais la cour de récréation est un haut lieu de la transmission du genre. Très tôt les filles et les garçons ont des jeux, des espaces différents, ne se mêlent que rarement, la fille qui jouera avec les garçons sera étiquetée de « garçon manqué », le garçon qui jouera avec les filles «  de poule mouillée ». Beaucoup de petites patientes qui aimeraient participer aux jeux de garçons se voient ridiculisées, rejetées, quelle souffrance ! du côté des garçons, l’interdit implicite ou explicite vient des copains «  tu ne vas pas jouer comme une fille ! » là aussi, nombreux sont ceux qui doivent ravaler leurs désirs, par ex. d’échanger avec les filles, de jouer calmement. Les filles ça discute, les garçons ça court. Qui en a décidé ainsi ?

Osons rectifier le tir !

Une fille qui joue au football, n’est pas un garçon manqué, c’est une fille qui aime jouer au foot, c’est sa manière à elle d’être une fille. Au nom de quoi porter un jugement, si ce n’est sous la coupe des modèles anciens. Un garçon qui a envie de sauter à la corde n’est pas une femmelette, c’est un garçon qui aime sauter à la corde et qui s’entend bien avec les filles. On le condamne dans ce contexte, alors que si il fait de la boxe, sauter à la corde sera considéré comme viril.

A l’école, le terrain de foot est souvent situé au milieu de la cour et accaparé par les futurs champions ; avec le ballon qui roule, les filles apprennent à esquiver, à pratiquer des jeux qui ne prennent pas de place. ils occupent davantage l’espace sonore. Du coup, les filles vont intégrer l’idée qu’il faut rester à sa place, souvent développent une manque de confiance, de sécurité, une moindre estime de soi, puisqu’elles crient moins fort, courent moins vite que les garçons. Ce que font les garçons est vécu comme étant supérieur !

C’est porteur de sens !

Il existe des jeux de filles et des jeux de garçons, la pression des pairs est énorme. On commencera à se regarder autour des questions, « c’est ton amoureuse, c’est ton amoureux. » C’est sur les registres non de la complicité mais de la séduction que les contacts vont s’établir. Il y a tout de même autre chose à découvrir réciproquement.

Là ce que l’on peut faire, c’est conforter le désir de son enfant : « tu as raison, tu as le droit d’aimer le foot, tu restes une superbe petite fille, comment peux-tu faire pour que les garçons t’acceptent ? »

Les études supérieures ne sont pas en reste

Une toute dernière étude met en évidence la réalité des filières, les garçons suivent des filières « sciences et techniques » et les filles plutôt des filières paramédicales et sociales (85% de filles) ou lettres et sciences humaines (70%) alors que au lycée elles ont de meilleurs résultats en sciences et mathématiques (Le Monde 27/02). Cette étude sociologique met en évidence que à notes égales avec les garçons, à désir égal, elles sont moins orientées vers les filières scientifiques. Ceci est doublé d’une forme d’auto censure des filles, renforcée par les « attendus » qui décrivent les qualités nécessaires pour chaque filière :

Pour les candidats à Psycho/ Nanterre, il est attendu des « qualités humaines, d’empathie, de bienveillance, d’écoute » peu valorisées chez les garçons. Pour des études d’ingénieurs les attendus : « capacités d’abstraction, de logique, de modélisation.. »… que les filles ne se reconnaissent pas toujours ; même quand elles les ont démontrées au lycée.

Il y a comme une forme d’auto-censure, même quand elles ont les mêmes compétences que les garçons, elles ne les reconnaissant pas à leur juste valeur !

Dans la même lignée, pour entrer en « droit », les bacheliers doivent répondre à un questionnaire puis évaluer leur niveau de culture générale… que se passe- t-il ? à note égale de bonnes réponses, les garçons s’attribuent une bien meilleure note que les filles.

La représentation « genrée » des études, reprise inconsciemment par les filles et les garçons les conditionnent sans qu’elles en aient conscience.

Les jeux, jouets « c’est pour une fille ou un garçon »

Que ce soit pour un cadeau de naissance ou pour le Noël de vos enfants, les jeux, mais plus encore les livres sont clivés. Les aventures pour les garçons, les mièvreries pour les filles. C’est affligeant, et en pleine régression, mais cela induit, inculque, et nous échappe !

Comment résister en tant que parent et constamment dire à ses enfants qu’une fille peut faire du mécano, un garçon de la cuisine ! qu’il peut aimer faire des perles sans être « une mauviette ». Là aussi un grand chef, c’est viril, faire la dinette à 8 ans, inquiète les parents qui se demandent si leur enfant ne va pas être homo !

Les publicités

Elles ont bien sur évolué, mais encore des représentations pernicieuses sont tellement nombreuses, amusez-vous à regarder autour de vous. Les femmes souvent dans un rôle de séductrice, présentée comme « femme objet ». Les hommes, plus sérieux, donnant l’impression d' »assurer ».

Les villes

Réf. à un livre : La ville faite par et pour les hommes, Yves Raibaud, géographe. Comment l’organisation même des villes, comment elles sont pensées sous-tendent la transmission des modèles et les inscrit dans une géographie établie.

A Bordeaux, les deux tiers des activités mises en place par des pouvoirs publics sont destinés aux garçons. On considère qu’il faut donner aux garçons des terrains de foot, de skate… on ne dit pas clairement évidemment qu’ils leur sont réservés mais de fait, ce sont les garçons qui les investissent davantage.

Dans un couple

Bien entendu, les enfants se construisent sur ce qu’on leur donne à voir, pas seulement sur nos beaux discours. C’est notre manière d’être qui leur sert avant tout de support d’identification, et là non plus, ce n’est pas gagné !

Les injustices ménagères

Si je vous parle de 18H de travail ménager hebdomadaire environ, contre 33H, et si je vous demande selon vous quelle est la répartition hommes/femmes, vous allez trouver la devinette trop facile ! Très bien, mais si je vous dis que 61% des femmes estiment que ce partage est juste pour leur partenaire et juste pour elles, qu’elles ne sont que 35 % à estimer cela injuste pour elles, qu’en pensez vous ? il y en a même 4% qui estiment que c’est injuste pour le partenaire. Du côté des hommes ? 68% estiment que leur participation à hauteur de 18H est juste pour les deux ; 28% estiment tout de même que c’est injuste pour leur partenaire, et 4% estiment que cette contribution est injuste pour eux. (Les injustices ménagères. 2007. F. de Singly). Cela mérite réflexion.

Inégalités et injustices ne se recoupent pas !

Le sentiment d’équité n’est pas calqué sur un calcul strictement arithmétique. Qu’est ce qui fait que ces inégalités patentes ne génèrent pas un sentiment d’injustice plus vif ? Cela ne veut pas dire que, pour autant le travail ménager se fasse toujours de gaieté de cœur. A la fois on râle, à la fois cela ne semble pas si injuste.

Ce qui parait le plus injuste, pour les femmes, c’est le fait que ce travail a la fâcheuse caractéristique de demeurer invisible, « tout naturel » quand il est effectué par une femme et peu valorisé, mais qu’il est considéré comme un « véritable exploit exceptionnel » quand il est fait par un homme.

Les femmes, à travers le travail ménager expriment leur désir de « prendre soin » de la maisonnée, elles ont envie de rendre la vie plus facile à tous. Elles y inscrivent l’affection qu’elles donnent à leurs enfants et leur compagnon. Faire le ménage, c’est ménager le couple et la famille.

Il est intéressant de noter que l’activité professionnelle des femmes ne transforme pas cette importance donnée du « prendre soin » et à la valeur affective liée au travail ménager.

Comment expliquer que ces inégalités ne soient pas davantage vécues comme injustes ?

Que les femmes ne soient pas prêtes à lâcher un territoire que les hommes leur laisse volontiers; que les hommes apprécient ce confort, qui est aussi un moyen de montrer leur suprématie… soit, mais cela suffit-il vraiment à maintenir cet état de fait ?

Dans la constitution du couple, il y va de la recherche du soi, de l’affirmation de son identité. Et cette quête du soi, comprend pour beaucoup des références au « genre », aux définitions stéréotypées du « genre ». Se faire reconnaître comme « femme » comme « homme » passe par les standards encore en vigueur.

C’est ici que le travail domestique joue un rôle pernicieux. Il constitue un des bastions les plus vigoureux de la reproduction des genres.

En clair, accepter ces injustices ménagères, c’est une manière de se réaliser dans son identité, mais c’est surtout se réaliser en se conformant aux stéréotypes, en les validant et en les renforçant. Remettre en cause ce partage, ce déséquilibre reviendrait à mettre à plat, déconstruire les définitions ancestrales de ce qu’est un homme, de ce qu’est une femme. Il y a comme une entente tacite pour ne pas ébranler cet équilibre ancestral.

La place de l’argent

Le rapport à l’argent dans un couple est intéressant : « quand on aime, on ne compte pas » tout se passe comme si les femmes étaient les plus ferventes défenseuses de ce dicton si faux, et si dangereux, car notre travail sur l’argent en famille et dans le couple montre au contraire que « plus on aime, plus on compte, plus tout compte » Ex. le bouquet de fleurs /anniversaire.

Qu’est ce que suppose ce dicton ? un clivage, d’un côté l’amour, c’est du côté du bien, du positif. De l’autre, l’argent, du côté du sale, du mesquin, du mal.

C’est tout sauf vrai, car l’argent dans les familles peut avoir un usage éthique, et peut être au service de la générosité, du bien être et de l’amour !

Mais qu’est ce qui se joue, implicitement. Les femmes veulent faire de la famille, du couple, un cocon douillet, un lieu d’amour et de tendresse, soit, mais pourquoi cela excluerait -il la réelle place qu’a l’argent dans le quotidien. Il y a comme le relent, une trace encore très efficace d’un idéal.

Les femmes sont-elles vraiment libérées de l’idéal de l’amour romantique ? Nombre d’entre elles s’en défendent…tout en continuant à l’espérer. « J’ai honte de vous le dire, mais j’attends encore qu’un homme beau et fort me prenne dans ses bras, il serait au volant d’une voiture de course rouge. » déclare cette femme cadre supérieure dans une grande entreprise, au cours d’une séance de thérapie. Tout en poursuivant « Dans mon rêve, il me protège…. Mais, je ne supporterai pas qu’il me dicte ce que j’ai à faire, je veux garder mon indépendance. » L’ambivalence règne ! Nous sommes au croisement de plusieurs modéles !

Au rêve secret de Prince Charmant des femmes du 21° siècle, est-ce que les hommes ne répondent pas eux, en cherchant à être « le chevalier servant d’une jolie Princesse », dont le pouvoir protecteur passe par l’argent qu’ils gagnent pour combler leur dulcinée ? Là aussi, l’ambiguïté règne, car il ne faudrait pas non plus que la Princesse soit ou trop exigeante ou trop dépendante.

La question de l’argent dans le couple est significative de l’entre deux modèles de notre société. Car à la fois, il signe le changement radical de la place des femmes dans la société, avec leur entrée importante dans le monde professionnel, et leur indépendance financière, et à la fois, il marque la difficulté avec laquelle ces changements sont intégrés psychiquement.

Même quand les changements sont là, bien inscrits dans le réel, un temps d’intégration psychique est nécessaire pour les assimiler. Transformer les représentations ancestrales, un inconscient collectif bien ancré, des schémas traditionnels si anciens, des comportements emprunts d’habitudes séculaires prend du retard par rapport aux transformations déjà avancées. Sur le plan psychique, tout se passe comme si cette émancipation n’était pas vraiment intégrée, ni tout à fait admise, déjà par les femmes elles-mêmes. Quelques résultats d’enquêtes diverses sont frappants : même quand les femmes sont très à l’aise avec les concepts économiques, elles n’aiment pas s’occuper des finances familiales. Même lorsqu’elles gagnent leur argent, (1F/4) elles le consacrent plus spontanément aux besoins de la maison, de la famille, renforçant leur fonction traditionnelle du « care », du « prendre soin de… », même quand elles ont un salaire plus élevé que leurs maris, elles ne s’autorisent pas facilement des dépenses personnelles alors que les hommes le font plus fréquemment.

Il faut dire que ces changements, sur l’échelle du temps de l’humanité sont si récents, ils datent « d’hier »

Le temps psychique a pris du retard.

L’émancipation des femmes, en quelques dates :

21 avril 1944. Le droit de vote est acquis

13 juillet 1965. Loi promulguant l’égalité juridique des femmes avec leur mari, dans le but d’instituer « l’égalité complète dans le mariage ». Parmi les mesures : droit pour les femmes d’ouvrir et de gérer un compte en banque sans autorisation de l’époux.

1967. Les femmes sont désormais autorisées à entrer à la Bourse de Paris et à spéculer.

1970. Suppression de la notion de « chef de famille ». Le couple régit de concert le ménage dans les dépenses et les choix de vie et d’éducation. L’autorité parentale vient de naître.

Sur le plan de l’accès aux études :

Avant 1924, impossible pour une femme de passer le baccalauréat.

1938. L’incapacité juridique des femmes est levée. Dés lors, elles peuvent aller à l’université, avoir une carte d’identité, un passeport sans l’autorisation de leur mari
1972. Polytechnique devient complètement mixte, tout comme HEC

L’évolution des modèles est aussi entravée, pour le moins ralentie, parce que le monde du travail freine la reconnaissance de la valeur du travail féminin d’une manière encore puissante. Le salaire des femmes, facteur essentiel de leur émancipation sur le plan économique, ne leur en donne pas tout à fait les moyens, puisqu’il continue à être inférieur à celui des hommes pour un poste équivalent. Dans les entreprises, un « plafond de verre » bloque les femmes dans leur évolution. Cela a des incidences dans le couple, les écarts de salaire contribuent à maintenir des inégalités et pénalisent les femmes car les différences de salaires ne permettent pas d’accéder à l’indépendance espérée, ni à l’égalité attendue. Bien des femmes que je rencontre se sentent coupables de dépenser l’argent amené par le mari, surtout quand elles arrêtent de travailler pour s’occuper des enfants. Bien souvent, dans notre société où ce que l’on est s’évalue au regard de l’argent que l’on gagne, cela fragilise l’estime d’elle-même.

Il devient urgent d’accorder de la valeur au travail immatériel qu’elles font justement au niveau du soin, de valoriser ce qui n’est pas monnayable, leur temps, de valoriser ce qui échappe au système monétaire et qui est si fondamental.

2. Comment en sortir ?

Pourquoi ce changement est nécessaire ? Parce qu’il y a trop de souffrances dans les modèles imposés.

«  Je ne devais pas faire de vagues, et aujourd’hui, je continue à ne pas savoir qui je suis, ce que je désire », du côté des femmes.

« Il fallait que je me montre fort, brillant, vaillant… aujourd’hui je ne sais pas dire je t’aime, je suis incapable d’un geste tendre envers une femme » « j’ai comme une infirmité émotionnelle » ; du côté des hommes.

Une partie de soi est bridée. Comment y arriver ? voici quelques pistes.

Introduire de la souplesse, du « jeu » dans les standards, c’est possible, même si cela peut demander du temps.

Cela suppose une évolution réelle, concrète, basée sur du respect, une confiance mutuelle.

« Nous venons d’avoir cinquante-cinq ans, mon mari et moi. Je suis vraiment ravie et étonnée de notre cheminement. Quand on s’est marié, c’est peu dire qu’il était macho. Issu d’une famille méditerranéenne, il ne pouvait pas imaginer lever le petit doigt sans perdre sa virilité. Et maintenant, il fait les courses, cuisine sans aucune difficulté. Lors des dernières vacances, comme je ne voulais pas le faire, il s’est très bien débrouillé en repassant ses chemises, il m’a épaté ! En fait, cela dépend surtout de notre charge mutuelle de travail, quand il est débordé, j’en fais plus, quand c’est moi qui suis noyée par le travail, il prend le relais. Je crois, qu’avec les crises qu’on a traversées, qu’on traverse encore, on a fini par construire une belle confiance mutuelle, et du coup, il n’a pas besoin pour se sentir un homme de jouer les Rambo, ou d’entrer dans un stéréotype. Il est lui, et c’est tout. »

Devenir soi, c’est le résultat de tout un cheminement personnel et du couple, mais c’est une aventure humaine que le xxie siècle rend possible. Ainsi donc, un homme peut penser à un dîner, faire les courses, préparer le repas et la table, tout en se sentant parfaitement bien dans sa peau. Et une femme peut faire « l’administratif » en étant en total accord avec elle-même. On peut vivre d’autant mieux son corps de femme, d’homme, sa sexualité qu’elle soit hétéro ou homo, qu’on se sera libéré des standards ancestraux. Il y a mille et une manières de vivre sa féminité, sa masculinité, c’est cela qui est passionnant.

Le couple qui à son insu reproduit le genre, peut aussi être un lieu privilégié pour le déconstruire.

Être soi, c’est avancer les mains nues, dans sa vulnérabilité, dans sa dignité, dans son potentiel et dans ses limites. Le couple, comme entité vivante, comme lieu de la sexualité, est un de ces lieux magiques et exigeants, qui peut permettre d’advenir à un accomplissement personnel inouï.

Être soi, suppose une grande fluidité dans la relation à l’autre, ne pas se laisser enfermer dans une position rigide pouvoir être tour à tour le fort, le fragile, réaliser son côté féminin, masculin tout en s’épanouissant, être à tour de rôle celui qui donne davantage, celui qui reçoit. Un des mots clefs de la réussite d’un couple c’est l’alternance, pour que chacun y trouve son compte, un équilibre reste à inventer inlassablement.

Dépasser les clivages féminin/masculin. S’opposent-ils tant que cela ?

Les récentes recherches en génétique, ont montré que les différences et les spécificités des deux sexes étaient de plus en plus difficiles à établir. Les frontières hier encore bien définies apparaissent de plus en plus floues.

Au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs découvertes, les scientifiques ont de plus en plus de mal à définir la spécificité des deux sexes.

Ce qui distingue le masculin et le féminin est-ce les organes génitaux, certes c’est la différence la plus évidente mais certains individus naissent hermaphrodites.

Est-ce les hormones ? Elles ne sont pas spécifiques à un sexe. Les femmes fabriquent de la testostérone et les hommes des oestrogénes. Est-ce la forme des os ? les paléontologues reconnaissent qu’il est difficile de différencier le sexe des squelettes.

Les performances physiques ne sont pas plus convaincantes. Les compétitions de haut niveau montrent que les écarts diminuent entre le sexe dit faible et l’autre….Le poids et le volume du cerveau ? Oui, et cela a servi de base argumentaire aux phallocrates. Mais manque de chance pour eux, cette différence n’entraîne aucune distinction sur le plan de la cognition.

Tout cela pour conclure avec les plus grands chercheurs « les différences entre les individus quel que soit leur sexe, sont plus importantes que celles entre l’homme et la femme. »

Et pourtant non vous n’avez pas rêvé, les petits garçons ne font pas pipi comme les petites filles ! Aucune femme, aucun homme que nous connaissons autour de nous, qu’il/elle soit hétéro ou homo, qu’il ait une vie sexuelle ou non n’exprime de la même façon ses parts masculine et féminine. Des femmes- femmes jusqu’au bout des ongles peuvent avoir une autorité à faire trembler un régiment. Un homme- homme jusqu’au bout de ses performances sexuelles- peut avoir une sensibilité à faire pleurer l’ensemble de ses conquêtes.

Cela rejoindrait-il les mythes biblique et platonicien de l’androgyne où le masculin et le féminin sont deux principes internes à chaque individu. « Il n’est d’âme et par conséquent d’être humain au sens plein, que mâle et femelle en même temps »

Vivre et assumer notre singularité.

Nous sommes, sur terre des milliards d’êtres humains et chose extraordinaire nous sommes tous des êtres uniques, singuliers.

La différence entre les individus est un processus qui ne se réduit pas à la différence sexuée. Intervient les myriades de diversités physiques, de caractères, de réactions, d’émotions, de sentiments, de croyances, de projets, de dynamisme……

Nous sommes des êtres complexes, et on ne peut pas nous réduire à notre seul sexe. Je suis une femme, certes, mais ce qui me constitue c’est ce qui me fait vibrer, ce qui me rend vivante, ce qui me rend joyeuse, ou triste, mes désirs, mes espoirs, mes déceptions, mon histoire… ce sont mes fragilités, ma vulnérabilité comme mes ressources, ce que j’ai été, ce que je suis, et ce que je deviendrais, car nous sommes tous des êtres de devenir, appelés à changer sans cesse, rien n’est jamais figé sur le plan psychique et relationnel ; c’est tout cela qui fait d’une personne un sujet à part entière, qui le pose dans sa dignité, dans sa souveraineté.

Oser être soi, c’est accepter le féminin et le masculin que nous portons tous.

Si nous reconnaissons que nous portons tous une part de féminin et de masculin, si nous percevons cette complémentarité dans des relations pacifiées avec l’autre sexe, alors c’est une manière de pacifier avec nous-mêmes, d’apaiser nos conflits intérieurs. Ne plus s’en vouloir si en tant que femme, je me mets en colére, ne pas avoir peur en tant qu’homme d’exprimer sa tendresse ;

Oser se reconnaître. Ou le parcours de la reconnaissance

La reconnaissance. Et plus elle sera instituée, plus l’argent circulera « simplement », sans risque de se voir attribuer une fonction à laquelle il ne peut répondre. Une phrase clef : E. Levinas disait : « La reconnaissance égalise ce que l’offense a rendu inégal »

Mais ce mot de reconnaissance est galvaudé, il a perdu un peu de son épaisseur, à force d’être utilisé à tord et à travers. La reconnaissance ne s’institue pas d’un coup de baguette magique mais répond à un véritable processus. Elle exige un véritable « parcours de la reconnaissance ». * P.Ricoeur …nous le décrit et je le réinterprète à ma manière.

D’abord, on a besoin d’ « être reconnu », on est alors dans une certaine position passive, dépendante (niveau 1 de la reconnaissance). J’ai besoin que l’autre atteste qui je suis.

Puis, il s’agit de « reconnaître l’autre », ce qui se réalise dans un mouvement actif vers l’autre (niveau 2). Je dis à l’autre comment je le vois.

Cela permettra la reconnaissance réciproque : « se reconnaître mutuellement » qui est de l’ordre de l’altérité (niveau 3). La reconnaissance mutuelle : l’un/l’autre ; l’un par /pour l’autre, ce n’est pas l’un EST l’autre. La réciprocité ne va pas de soi, mais elle est féconde. Car il y a une véritable simultanéité de la reconnaissance existentielle : quand on reconnaît autrui comme existant, vivant, on se sent soi-même exister, vivre.

Bien sûr, tous ces niveaux sont liés au « se reconnaître soi-même » (niveau 4).

En me reconnaissant comme auteur de mes paroles, acteur de mes actes, quand je suis comptable de mes actes… c’est en m’inscrivant dans ma responsabilité que mon identité se structure. C’est par la dimension éthique que j’accède à la reconnaissance de ce que je suis.

Et chose extraordinaire, plus on se sent reconnu, plus on est reconnaissant. C’est ainsi que la boucle est bouclée, les comptes loin d’être mesquins nous conduisent vers la gratitude, vers la possibilité de la bonté.

L’hypnose, peut être utile

Nous avons beaucoup parlé, beaucoup réfléchi ensemble, mais en fait quelques exercices d’hypnose pourraient nous être utiles et nous faciliter la tâche

L’hypnose permet d’articuler les contraires, de ne plus penser mais de sentir, de se pose.

De se sentir et de s’éprouver comme vivant, de dépasser le souci de soi, de ne plus avoir besoin de se définir comme tel ou comme telle, de nous situer comme des êtres vivants participant à l’immensité du vivant, à ne plus nous poser les questions en termes même de masculin et de féminin, nous situer au-delà de ces définitions.

Il suffit de se poser, de sentir le souffle vivant qui nous traverse, se laisser porter par la brise, les senteurs

On retrouve à la fois notre liberté et on découvre nos assises.

TABLE RONDE I. Equilibre entre masculin et féminin

D’abord accepter la part de féminin et de masculin qu’on a en soi ! Accepter cette part étrange qui nous habite

– instituer un niveau éthique de la relation ;

– ne pas considérer l’autre comme soumis à notre pouvoir ni à nos désirs, considérer, prendre en considération sa liberté, sa dignité ;

– ne pas se soumettre au pouvoir de l’autre, en développant une estime de soi ;

– instituer une complicité au lieu d’une rivalité, voire ce que l’autre peut m’apporter, ce que je peux lui apporter ;

– faire baisser la peur de l’autre ;

– se percevoir au delà des standards genrés, je suis d’abord un être humain, avant d’être une femme, un homme;

– je suis un être vivant parmi les vivants, qui participent au monde de la nature ;

– se sentir vivant, dans une expérience de correspondance avec la nature ;

– renforcer notre rapport à la vie, notre sensorialité.

Comment aider l’enfant à découvrir son identité et son intimité, au masculin et au féminin, le rendre confiant et autonome pour une vie épanouie ?

Deux points qui peuvent vous surprendre :

– valoriser sa singularité, ne pas l’enfermer dans des étiquettes, lui donner le courage d’oser être lui ;

– la manière la plus efficace, oser être soi, soi-même !

– grandir avec son enfant ;

– oser philosopher avec nos enfants.

Grandir avec ses enfants.

On ne peut pas demander à un enfant de grandir si on ne continue pas nous-même à grandir. Et sur la question du masculin et du féminin, rien de tel que de clarifier déjà les choses pour soi-même

En effet les enfants grandissent en s’identifiant aux parents, il est important d’être cohérents, nous ne pouvons pas demander à nos enfants de vivre pleinement les évolutions du féminin et du masculin, si nous ne le faisons pas nous-mêmes ;

Nous avons vu hier à quel point le réel résiste à ces changements, plus nous dépasserons les blocages du quotidien, plus nous ouvrons la porte à l’épanouissement de nos enfants.

Qu’est-ce que grandir quand on a 40/50 ans et plus ?

1° clef. Désobéir, enfin. Grandir c’est trahir.

Je me surprends souvent à dire « pour que nos enfants nous obéissent il faut impérativement que nous ayons désobéi à nos parents. Pour dire non à ses enfants, un « non » plein, il faut avoir dit non à ses parents. »

D’une manière qui n’est pas seulement provocatrice, je suggère souvent que « grandir, c’est trahir. » Pour être présent à ses enfants, il y a des déloyautés à mettre en place par rapport aux générations passées, il y a des trahisons libératrices à agir. Oser être déloyal par rapport aux missions impossibles.

Comment être plus précise encore ? Qu’est ce que c’est que grandir, quand on est censé être une grande personne ?

2° clef. Se libérer du regard parental

Je découvre tous les jours, à quel point, les hommes, les femmes de 30, 40, 50 ans ont encore besoin de la reconnaissance de leurs parents, d’être légitimés par eux, comme si ils évaluaient leur existence, longtemps en fonction de ce qu’ils auraient dû être pour eux. Ils ont du mal à apprécier ce qu’ils sont, quand ils estiment ne pas être les enfants idéaux de leurs propres parents.

Si la parole des grands parents est encore implicitement la référence, comment les enfants peuvent-ils reconnaître leurs parents comme des référents ?

Se libérer du besoin de se sentir aimé, apprécié, reconnu comme on voudrait l’être.

3°. Clef Renoncer à la tyrannie de l’idéal

De toutes les manières, il faudra bien l’admettre un jour, nous ne serons jamais les enfants idéaux que nos parents auraient voulu qu’on soit. Ce sera notre frère qui en fait moins, qui restera le « chouchou ».

Mais cela va avec un autre renoncement qui n’est pas si facile : la souffrance vient de ce qui n’est pas advenu. Adulte, nous continuons longtemps à souffrir de ce que nous n’avons pas eu enfant, ou de ce que nous n’avons plus. Là aussi si nous voulons grandir, il faut parvenir à ne plus leur en vouloir de tout ce qu’ils n’ont pas su nous donner, les accepter pour ce qu’ils sont avec leurs limites et leurs incompétences.

Grandir, c’est solder ses propres comptes avec les générations passées, de manière à libérer nos enfants d’avoir à réparer quelque chose de nos blessures.

4° clef. Reconnaître que les parents ne nous doivent plus rien. Solder ses comptes.

Le poids des manques reste longtemps douloureux. Ce qui fait souffrir, c’est ce qui n’est pas advenu et que l’on attendait. De la même manière que nous nous acceptons comme enfants imparfaits, acceptons les failles, les carences de nos parents, n’attendons plus d’eux ce qu’ils n’ont jamais pu nous donner.

Notre mère n’est pas attentive, mon père préfère ostensiblement mon frère, finissons par en rire sans en être blessé ; Passons par pertes et profits tout ce qui n’est pas advenu !

5° clef. : reconnaître ce qu’on a reçu, plutôt que de rester le regard fixé, rivé sur nos manques. On reçoit des générations passées bien plus qu’on ne l’imagine. Commencer à compter, c’est-à-dire à identifier ce qui nous fut transmis, nous enracine dans notre histoire, structure notre identité.

Reconnaître que nous n’avons pas de comptes à demander aux générations passées, sur ce qu’ils font, disent, sont, ou sur ce qu’ils ne peuvent pas faire, ne veulent pas, ne sont pas…

Ce triple travail de reconnaissance active, comment le mettre en place ? « Tu honoreras ton père et ta mère » se trouve être le cinquième des Dix commandements. En hébreu, honorer, se dit « cavod », qui signifie littéralement « lourd ». Au plus près du texte, le commandement voudrait dire : « Rends lourds ton père et ta mère, donne de l’épaisseur à leur vie. Même si le sens de leurs gestes, de leurs actions, de leur choix t’échappe, admet qu’il existe. Accepte l’idée qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que ce qu’ils ont fait, qu’ils ont, sans doute, fait du mieux qu’ils ont pu, resitue-les dans leurs trajectoires sans les regarder à travers tes yeux d’enfant centré sur son ego et ses seuls manques. Admets qu’ils ont eu leurs souffrances, leurs impossibles, leurs fardeaux, leurs loyautés. Même à leurs manquements on peut donner du poids. Attribue du sens à leur vie, même si tu ne le saisis pas, ne le comprends pas, accepte qu’ils aient été différents de toi. En un mot, donne de la substance à leur être. » C’est ce que semble signifier cette injonction de respect.

Donner du poids à la vie de ses parents ? Quelle drôle d’idée ! Et pourtant, c’est peut-être une orientation intéressante pour se libérer d’avoir à réparer, d’avoir à répéter leur histoire. Plus on resitue ses parents dans le sens de leur vie, moins on a besoin de les faire vivre à travers nous. Cela permet à l’histoire de rester en mouvement. Si on ne donne pas suffisamment de poids à ce qu’ils sont, on se retrouve à porter tout le poids qui leur a manqué.

Finalement, n’est-ce pas ainsi que nous pouvons « rendre » à nos parents, en instaurant quelque chose de l’ordre du « les rendre » à leur propre vie, les restaurer dans la profondeur de leur existence, dans la complexité de leur vécu, même si, et peut-être d’autant plus, si ce sens nous échappe. C’est peut-être cela, respecter ses parents et instituer une certaine justice en famille, qui à la fois transcende notre individualité et en même temps renforce notre appartenance, notre filiation, comme si ici, philo et psycho se rejoignaient.

6° CLEF. Retrouver la confiance en soi.

Les parents sont les experts.

Que les parents retrouvent confiance en eux ! Le plus souvent, ils ne s’en sortent pas si mal.

Le problème ce ne sont pas les erreurs, mais de s’y entêter, important de savoir changer, se poser les bonne questions ; oser d’ailleurs se questionner, se remettre en cause.

« Dans la difficulté de mon enfant, qu’est ce qui se joue de ma propre histoire. Qu’est ce que j’ai moi à régler par rapport à l’école, l’autorité, la nourriture ? »

Continuer à grandir, c’est prendre appui sur ce que nos enfants réactivent en nous pour nous en occuper, dépasser nos propres difficultés.

C’est une superbe aubaine, un joker qui nous est offert et du coup on ne demandera pas à nos enfants de régler ce que nous n’avons pas réglé nous-mêmes pour nous-mêmes.

C’est cela la véritable autonomie, libérer nos enfants du poids de notre propre névrose ! De toutes les manières il en restera suffisamment et ils auront à leur tour des choses à regeler.

Tout de même allégeons leur sac à dos, leur besace ! cela leur fera du bien mais nous aussi.

Nous sommes tous des êtres uniques, c’est ce qui fait notre valeur, et ouvre sur la complémentarité avec les autres. Accepter notre singularité nous aidera à accepter la différence des autres et permettra le bien vivre avec l’autre.

7° clef. Donner un sens à sa vie.

Ce qui fait autorité auprès des enfants, c’est le rapport à la vie des adultes. Plus que des grands discours désincarnés, la façon dont ils voient les adultes se débrouiller avec l’existence, rebondir, affronter les difficultés, vivre leurs joies, fait d’eux, des figures respectables. Plus les enfants voient leurs parents prendre leur place dans la vie, plus ils les respecteront en tant que tels. Ils ont besoin d’adultes qui donnent un sens à leur existence, qui croient en la vie, même si elle n’est pas facile. Tout ceci suppose de la part des parents, une solide présence à soi et à l’autre. L’autorité, pour qu’elle soit prise en compte ne peut plus être de l’ordre du pouvoir, mais de l’ordre de l’éthique et de l’existentiel.

Etablir la relation éducative sur l’échange et la transmission des valeurs fondatrices du « bien vivre avec Autrui » construit un sentiment d’appartenance et cohére les relations intra-familiales.

En un mot, oser être soi, et faire le chemin nécessaire pour y arriver.

Oser philosopher.

En effet, pratiquer la philosophie, ce n’est pas seulement travailler les textes ardus des philosophes, aussi riches et utiles soient-ils, c’est d’abord et avant tout interroger la vie, le monde, vouloir le comprendre, chercher du sens à l’histoire, s’émerveiller devant ce qui existe autour de soi, en soi. Et cette capacité tellement vive chez les enfants les place dans une démarche tout à fait proche de la longue tradition philosophique. Platon ne disait-il pas : « S’étonner, la philosophie n’a pas d’autre origine. »

En invitant les parents à vivre cette expérience, cela les renforcera dans leur fonction parentale. En effet, transmettre aux enfants le récit de leurs origines, un système de valeurs, une représentation du monde, partager une vision politique, n’est-ce pas ainsi que se tissent les liens de filiation et le sentiment d’appartenance ?

La philosophie, une aide précieuse pour élever les enfants

Si la psychologie a été utile pour entendre et répondre aux besoins des enfants, il est temps de reconnaître l’apport inégalable de la philosophie et de re-découvrir son importance primordiale dans la construction d’un individu et dans la relation éducative. La psychologie a apporté un certain nombre de réponses concernant le développement de l’enfant, ses pulsions, ses désirs, ses affects, ses angoisses et cela oriente d’une manière profitable la pédagogie et les relations familiales.

La philosophie nous familiarise plutôt avec les questions, notamment celles auxquelles il n’est pas toujours possible d’apporter des réponses, elle interroge les certitudes qu’elle considère souvent comme suspectes, réductrices. Selon elle, la vie est posée comme une intrique, le monde comme une énigme et le savoir n’épuise jamais ce qu’il reste à savoir, la pensée ne vient jamais à bout de ce qui est pensé. Le mystère n’est pas une manifestation du réel, il en est la condition même. Et cette énigme irréductible du vivant est le lieu absolu de la liberté et de la créativité humaine. Comprendre, oui, mais en sachant que toujours échappe peut être l’essentiel. Selon Heidegger, « quand on a tout compris, il n’y a plus qu’à mourir » L’entêtement insatiable des enfants à interroger, leurs « pourquoi » inlassables qui ne se satisfont pas de nos réponses, prouvent si cela était encore nécessaire à quel point leur démarche est fidèle à l’essence même de la philosophie.

La philosophie permet aux enfants, ni plus ni moins, de préserver une pensée vive, mobile, alerte, souple. Elle les aide à traverser leurs doutes, à se structurer à partir de leurs ignorances mêmes, de leurs faiblesses. Elle leur donne les moyens de penser par eux-mêmes, cadeau inestimable qui permet de ne pas être enfermé dans des opinions toutes faites, imposées de l’extérieur, de préserver leur liberté intérieure. En un mot, elle maintient vivants, petits et grands à travers un dialogue fécond !

La philosophie œuvre sur d’autres plans que la psychologie, bien sûr complémentaires. Elle nous situe sur les registres de l’existentiel, de l’éthique, de l’esthétique, de la spiritualité, des croyances. Elle ne considère pas les êtres seulement dans leur dimension psychique, elle prend en compte toutes les dimensions qui inscrivent l’humain dans sa dignité la plus absolue. Elle considère l’homme dans sa globalité, comme sujet pensant, mais aussi inscrit dans son corps, dans son appartenance à une famille mais aussi comme participant à l’histoire de l’humanité, elle le situe dans sa conscience morale, en tant que citoyen, à la fois dans sa singularité mais aussi dans son universalité. En élargissant ainsi le regard elle permet aux enfants de trouver des ressources non seulement en eux-mêmes mais bien plus encore dans la puissance et la beauté de l’univers, en un mot dans toute la sphère du vivant. Elle participe à forger des petites filles et des petits garçons solides car responsables vis à vis d’eux-mêmes et des autres, inscrits dans leur citoyenneté et aptes à participer à une réflexion politique, au sens noble du terme.

Et nul ne contestera que cela est extrêmement précieux aujourd’hui pour les enfants du 21° siècle qui vivent dans des contextes instables, insécurisants, complexes. Plus on les aidera à trouver des points d’appui et de repères solides, étayés sur les bases intemporelles de la philosophie, plus on leur permettra non seulement de trouver leur place dans cet univers mais aussi de mettre en œuvre une liberté réfléchie, une altérité féconde, qui alimentera une confiance en la vie et en leur avenir, un sens des responsabilités et de l’engagement. Platon ne nous contredirait pas, lui qui déclarait : « Chacun, parce qu’il pense, est seul responsable de la sagesse ou de la folie de sa vie. »

Philosopher en famille structure les liens intergénérationnels.

Accompagner les enfants permet, par conséquent, aux parents de (re)trouver une place de guide, de référent tout en échappant aux sempiternelles réflexions « Sois poli, tiens-toi bien… », . Le dialogue philosophique se situe sur un autre plan que celui des gestes basiques, il permet de prendre de la hauteur, les liens peuvent se tisser autour des idées échangées, partagées, discutées.

Philosopher en famille, cela est bien plus simple qu’il n’y paraît. Il ne s’agit nullement de leur enseigner la « philo » ni les philosophes, ni de devenir des experts, mais de les amener à dérouler au maximum leur questionnement. En cheminant ainsi on les habitue ni plus ni moins à mobiliser leur précieuse aptitude à raisonner, on développe leur goût de la réflexion, on les prépare à vivre dans un monde dans lequel nous devons souvent agir sans avoir de réponses à nos interrogations.

Le travail à l’œuvre dans la pensée place les enfants dès leur plus jeune âge dans un rapport au temps intéressant, ils découvrent et acceptent la durée nécessaire à l’élaboration, ce qui vient faire contre pouvoir à l’idéologie pulsionnelle dans laquelle nous sommes du tout et tout de suite. Ce travail transforme aussi le rapport de l’enfant à son espace : plus il élargit sa sphère de référence, plus il parvient à percevoir tout ce qui le dépasse, le transcende, ce qui lui permet un décentrement précieux par rapport à la tendance à l’individualisme contemporain. Plus il sera ouvert sur ce qui n’est pas lui, sur les autres, plus il accédera à la richesse de son être propre. Habitué à ces mouvements incessants entre les autres et soi, l’enfant deviendra un individu pouvant évoluer sans cesse. Pour la philosophie, l’être humain est traversé de part en part par le devenir. Nous ne sommes pas enfermés dans nos identités, nous pouvons toujours être plus que ce que nous avons été, nous ne sommes pas soumis à un destin psychique. Une pensée, inscrite dans le corps et ouverte sur l’Autre, libère, car elle nous place dans le mouvement infini de la vie, qui nous permet de nous dépasser sans cesse.

Nul besoin de leçon de morale, de discours abstraits et inadéquats, c’est tout simplement en suivant le questionnement naturel de l’enfant, en l’accompagnant de manière astucieuse qu’on peut faire de nos enfants des êtres sensibles aux autres et solides intérieurement.

Chemin faisant, au gré des jours, sans en avoir l’air, resurgira la puissance socratique qui vise la « maïeutique ».

Goûter au plaisir de la pensée permet de consolider son être intérieur tout en préservant une large ouverture sur le monde. La philosophie aide à vivre, nous en avons tous besoin.

En devenant une expérience familière et familiale, ces promenades philosophiques peuvent nourrir un dialogue stimulant entre adultes et enfants, rapprocher les générations, aider chacun à grandir quel que soit son âge.

Parions que Nietzche ne s’offusquera pas si on le parodie ! Il s’amusait à dire que « les bonnes idées sont celles qui viennent en marchant. » A la fin de notre parcours, nous pourrions considérer que les bonnes idées sont celles qui viennent en jouant.

La philo est un jeu d’enfants.

La philosophie, tout compte fait, n’est peut être rien d’autre qu’un jeu d’enfant. Mais le fait qu’elle soit un jeu, ce n’est pas rien. Jouer allie le ludique et le sérieux, le futile et le fondamental, le plaisir de gagner et le risque de la défaite. On sait que du jeu au je il n’y a qu’un pas. Jouer n’est pas seulement essentiel pour structurer l’identité d’un enfant, c’est aussi une activité qui mobilise la créativité, et la capacité d’anticiper, elle entretient le suspense parce que rien n’est jamais gagné d’avance. On peut être bon stratège, faire une belle partie et perdre cependant. On peut gagner grâce au hasard de la distribution des cartes, sans y être vraiment pour quelque chose, les perdants d’un jour peuvent devenir les gagnants du lendemain. Dans le jeu, tout se « rejoue » sans cesse. Bref, jouer place l’enfant devant l’alternance et la promiscuité des contraires. Est ce que cela ne rejoint pas l’essence même de la philosophie ?

Les nouvelles formes de filiation

Introduction au colloque 2009 du Ceccof, par Nicole Prieur

Il y a une certaine logique à faire coïncider ce thème et le trentième anniversaire du Ceccof : en 30 ans nous avons connu des bouleversements profonds et irréversibles qui nous touchent aussi bien en tant qu’individu, dans nos couples et nos familles, mais aussi dans notre pratique.

Nous avons vu se dérouler sous nos yeux, une véritable révolution anthropologique.

Depuis quelques décennies, qu’observons nous ?

  • Transformation des représentations des places des femmes – des hommes – des enfants dans la société : modification de leurs statuts. Valorisation de l’enfant. Revendication identitaire, d’accomplissement individuel.
  • Modification juridique de la parenté ; En 1970, abolition de la puissance paternelle. Autorité parentale exercée à égalité, et devant être assumée même après divorce. L’état en est le garant.
  • Progrès scientifique et évolution des mentalités : contraception, avortement : première grande dissociation : la sexualité et la procréation sont désormais disjoints. « Un enfant quand je veux… avec qui je veux. Un homme, une femme, une mère porteuse… »
  • Nouvelles techniques : Aide médicale à la procréation, IAD – qui vont introduire une révolution anthropologique radicale.
  • augmentation des filiations adoptives.  L’adoption crée une descendance sans engendrement.

La sexualité n’est plus le socle fondateur de la parenté ; fiv : fécondation hors rapport sexuel, don de gamète, d’ovocyte, mère porteuse, … Il faut trois corps pour faire un enfant.

Conséquences : le fondement biologique de la parenté s’effrite, et sa dimension sociale s’affirme de plus en plus.

affiche colloque Ceccof 2009

Il y a un éclatement des dimensions constitutives de la parenté. Eclatement plutôt que perte. Fragmentation qui pose la question de l’articulation des différents acteurs.

« La crise de la famille ne tient ni à l’apparition des familles monoparentales, ni à  l’augmentation des divorces, ni à la revendication de mariages homosexuels, mais plutôt à l’éclatement et à la dispersion des fonctions que, traditionnellement, elle réunissait » (entretien avec M. Gauchet. A propos du livre de M. Godelier sur les métamorphoses de la parenté. In Enjeux, janvier 2005)

D’autre part, il y a un véritable trouble dans la filiation. Les enfants n’ont plus la même origine que leurs parents, ni que leurs frères et soeurs.

La question : qui est la mère ? celle qui porte l’enfant ? celle qui a donné l’ovocyte ?  celle qui adopte ? celle qui l’élève ? avec une référence encore forte qui nous amène à nous demander « qui est la vraie mère » ? dans une idéologie de « la concurrence ».

Avant il pouvait y avoir un doute sur la paternité, maintenant, il peut y en avoir sur la maternité.

Dans ce contexte, l’homoparentalité a surgi. Cette revendication des homosexuels est elle aussi une toute première dans l’histoire de l’humanité. Elle ne surgit pas par hasard ; mais elle est la conséquence de tous ces changements de fond ; elle est devenue possible grâce à toutes ces lames de fond, et elle pose, à vif, les questions sous-jacentes que l’on ne veut pas toujours aborder.

Mais très paradoxalement « ce serait au sein des famille homoparentales que la parenté se réaliserait pleinement en devenant une réalité purement sociale et affective »

L’homoparentalité met à nu les questions de fond qui se posent à tout un chacun et bien au-delà de la seule dimension morale. Qu’est ce qui fondent désormais les liens de parenté ? Qu’est ce qui structure la dimension éthique des relations entre individus à l’intérieur d’une famille et à l’extérieur, puisque le mot d’ordre c’est le désir ?

Désir de quoi ? Désir auto-centré : se faire plaisir ? Désir de partage, de transmettre, de construire, de fonder un lignage, de créer du temps et de l’histoire ? N’y a-t-il qu’une dimension de désir derrière tout cela, ou quelque chose de plus fort encore ?

Dans une société de l’éphémère où zapper est devenu un mode de vie, l’enfant représente sans doute un garant de la durée, de la continuité. Il vient apaiser, un tant soit peu,  notre angoisse existentielle, en « prolongeant » quelque chose de nous. Avoir un enfant, c’est s’engager à l’aimer toute notre vie, c’est en tous les cas, être certain d’avoir toujours peur pour lui, quelque soit son âge ! Face à la précarité des liens sociaux, amoureux, professionnels, il  nous introduit dans une expérience de permanence.

Longtemps dans nos sociétés judéo-chrétiennes, et occidentales, la parenté  se définissait comme un ensemble de liens généalogiques à la fois biologiques et sociaux. Elle s’articulait autour du concept de filiation qui se définissait par un certain nombre d’éléments.

  • Liens de sang : une primauté de la dimension biologique. selon le principe biblique, enfant : chair de ma chair – symbolisant l’idée de l’union de l’homme et de la femme. Un et une : un – un homme + une femme : un enfant. Prévalait alors cette sacrée sainte unité symbolique. Cette dimension inscrivait l’enfant dans sa filiation claire, évidente, non susceptible d’être remise en cause. Parents et enfants avaient la même origine.
  • Liens éthiques. Articulés autour des systèmes d’alliances,  dons, loyautés, dettes, devoirs, droits,  interdits, qui structuraient les relations entre les générations et à l’intérieur même des générations.
  • Incluant la dimension de transmission : du nom ; du patrimoine ; du savoir, d’un métier… permettant d’assurer la permanence et la continuité de la lignée. Les règles et codes étaient précis comme par ex la place de l’aîné… ;
  • La dimension sociale, passait par le fait de donner à l’enfant sa place et son rang dans la société ; mais aussi le devoir de «  donner un enfant » à la patrie, au groupe culturel ethnique, religieux auquel on appartenait, de manière aussi à le renforcer et en assurer la pérennité. Cela intégrait la dimension éducative. On élevait les enfants, on les éduquait ou on ne les éduquait pas en fonction de la place de l’enfant dans le système social.

Tout cela contribuait à définir des fonctions – paternelles ; pater familias ; maternelles, dévouement ; et filiales ; devoir de secours des ascendants. Mais aussi des identités. Il y avait un continuum entre parenté et parentalité.

Dans les sociétés traditionnelles,  la place, la fonction de chacun étaient assignées par le groupe. Les valeurs, la vision du monde étaient transmises. Les  rituels permettaient à chacun d’intérioriser  les attentes du groupe à son égard. Chacun était ce qu’il était, et ne pouvait même pas s’imaginer autrement, ni ailleurs. L’identité était octroyée et subordonnée souvent par la naissance, le nom, le lignage. Bref, elle ne relevait pas d’un processus autonome. Donnée par le groupe, transmise par les générations des ancêtres l’identité était forte et structurée. Elle était quelque fois entièrement contenue dans le nom, nom du lignage.

L’identité était en parfaite adéquation avec les attentes du groupe puisque construite uniquement par lui, ce qui en garantissait la permanence.

Le prix de cette cohérence, de cette unité, c’était la répétition. Rien ne changeait à l’image du cosmos rythmé par la circularité du temps, des saisons.

Aujourd’hui, l’identité est devenue incertaine, elle perd sa cohérence, son unité. Les repères existentiels, se dissolvent, le sens ne vient plus d’en haut, ni du groupe. Nous voici donc sommés de nous inventer nous-mêmes, de devenir SOI, de donner un sens à notre vie. L’identité devient une affaire individuelle. Sa construction devient un travail à part entière. « S’inventer soi-même ne s’invente pas…. » JP K. cela nécessite un coût psychique non négligeable. « L’invention de soi, perspective irrépressible et fascinante de responsabilité et de liberté, ouvre parallèlement sur l’horizon de désarroi, d’implosions individuelles et d’explosions collectives, car il n’existe rien de plus difficile à canaliser que l’énergie mentale d’affirmation de soi, pourtant de plus en plus indispensable. »

Pour se réaliser, l’individu est tiraillé entre ses appartenances et sa revendication d’autonomie, entre sa famille d’origine, son couple, son temps personnel, son espace perso…..

Plus cette réalité devenait complexe, plus il nous semblait important de diversifier nos approches, de nous ouvrir à l’interdisciplinarité, et nous avons eu le plaisir de voir aussi une évolution positive par rapport à cela.

Des approches qui au démarrage se rejetaient mutuellement, chacune se voulant être la panacée de la clinique, de la compréhension… se sont au fur et à mesure des années, respectées, ont pu dialoguer, nous aider à décloisonner nos regards.

Nos approches tant conceptuelles, et cliniques n’ont cessé d’évoluer.

Dans une direction très intéressante, à la fois elles se sont différenciées, on recense de nombreuses formes de thérapies, de corpus conceptuels, et à  la fois, elles parviennent davantage, à au moins coexister, en se respectant, et au mieux dialoguer, comme on a toujours tenté de le faire au cours de nos journées cliniques.

Le Ceccof a toujours eu à cœur de ne pas seulement « parler » de la clinique, mais aussi  de la montrer, de présenter le travail, en organisant des séances en direct, ou enregistrées.

La transmission de l’origine dans les nouvelles formes de filiation

Article paru dans Cahiers critiques de thérapie familiale N° 38 (2007)

Résumé

Notre pratique nous met face à de nouvelles formes de filiation et de parenté. Le concept d’origine peut être un outil thérapeutique judicieux, à partir du moment où on pose l’originaire comme un processus mobile, sans cesse à recréer.

Un récit des origines de plus en plus difficile à transmettre

Transmettre à un enfant ses origines : une fonction essentielle de la famille

« D’où venons nous ? Où allons nous ? Qui sommes nous ? » En tant que clinicien, nous connaissons la place centrale de la question des origines dans la structuration de l’individuation et du sentiment d’appartenance.

Le rôle de la famille est primordial. Non seulement elle est le lieu originel mais encore elle sera le lieu des premières paroles que l’enfant pourra entendre sur ses origines. Car sa naissance, lui-même ne peut rien en dire. Il ne peut entendre le récit de ses origines que de la parole d’un autre. L’origine institue d’office l’altérité. L’existence de l’enfant prend corps dans des paroles extérieures à la sienne.

Transmettre à un enfant ses origines est donc une fonction essentielle de la famille.

Très bien, mais que constatons nous ? Le récit des origines est de plus en plus problématique et les failles dans leur transmission de plus en plus nombreuses.

Des origines inédites

Durant des siècles, définir son origine revenait à nommer sa filiation : je suis le fils, la fille de… inscrit dans une généalogie repérable, il y avait aussi de fortes chances de vivre dans le même lieu que ses parents, voire d’exercer le même métier. Existait alors pour beaucoup unité de lieu, de temps, de filiation. En tous les cas une certaine évidence dans la continuité générationnelle.

Aujourd’hui, les systèmes de filiation sont moins lisibles. De moins en moins d’enfants ont la même origine que leurs parents. Du fait des grands mouvements migratoires, on ne vit plus là où on est né, ni là où on a été élevé, encore moins sur la terre natale des ancêtres.

Les fratries peuvent réunir dans les familles recomposées ou adoptives des frères et sœurs d’origines différentes. Pour les enfants adoptés, le secret des origines est un problème douloureux qui continue à se poser. Si la législation permet l’accès à certaines informations, le parcours demeure difficile, les carences de données restent importantes.

Les nouvelles configurations familiales et les stérilités des couples font que de plus en plus d’enfants sont élevés par une mère ou un père « non biologique ». Le développement de techniques d’aide médicale à la procréation, que ce soit les FIV (Fécondation In Vitro) ou les IAD (Insémination Avec Donneur), introduisent des situations et des origines inédites. Ainsi pour les bébés nés grâce à une FIV, l’origine est-ce le « tube » froid et inhumain du laboratoire ? Quelles représentations les pères et les mères non biologiques ont-ils de l’origine de leur enfant ? Que leur transmettent-ils alors de manière implicite, inconsciente ?

Nous sommes bel et bien cœur d’une révolution anthropologique

L’enfant n’est plus nécessairement issu de la sexualité de ses parents. Le socle sexuel n’est plus l’unique lieu originel. Une mère n’est plus forcément celle qui porte l’enfant, le géniteur n’est pas le père qui élève l’enfant, on n’a plus besoin d’être deux pour faire, adopter ou élever un enfant, le couple parental n’est plus seulement constitué d’un homme et d’une femme.

Qui est mère ? Qui est père ? L’homme ou la femme qui a donné son sperme ou son ovocyte, la femme qui porte l’enfant, l’homme qui a sollicité la mère porteuse, celle ou celui qui l’élève, qui donne son nom, qui a abandonné, qui a adopté ? Il y a comme une abondance, une prolifération de mères et de pères autour de certains enfants, alors que d’autres restent dans des schémas encore traditionnels.

Cette révolution anthropologique, selon M. Gauchet (1) « se caractérise au final par une société qui dissocie ce qui relève de la sexualité (libre), de la famille (un vouloir vivre ensemble, dans la  durée ou non, de deux êtres quel que soit leur sexe), de l’engendrement (un désir d’enfant privé) et de filiation (non indexée sur la vérité biologique). Ces différentes fonctions, autrefois rassemblées dans l’unité de la famille sont aujourd’hui dispersées dans des espaces qui se veulent distincts. La crise de la famille ne tient ni à l’augmentation des divorces, ni à la revendication de mariages homosexuels, mais plutôt à l’éclatement et à la dispersion des fonctions que, traditionnellement, elle réunissait »

Filiation adoptive : un lien paradoxal à l’origine

Une mémoire impossible à élaborer

Il est assez fréquent de rencontrer chez les enfants adoptés des problèmes de mémoire pouvant les mettre en difficulté dans leurs apprentissages scolaires. Un travail de mémoire est constamment à l’œuvre chez un individu. Il tisse sa conscience d’exister, son sentiment de permanence. De quoi un enfant adopté a-t-il envie de se souvenir ? Qu’est-ce qu’il a besoin d’oublier ? Qu’est ce ses parents l’autorisent à retenir ou non ?

Dans sa genèse, deux moments prédominent : celui de sa naissance et celui de son arrivée dans sa famille adoptive. L’un signe son origine biologique, l’autre son origine familiale. Entre ces deux instants, il aura vécu un certain nombre d’événements.

A sa naissance il a été accueilli par des bras qu’il ne reverra plus, il a été bercé par des chansons qu’il n’écoutera peut-être plus, il a entendu une langue qu’il n’aura sans doute pas eu le temps d’apprendre. Mais qui peut témoigner de ses temps primordiaux ? Qui peut les lui restituer, lui en faire le récit ? Et ce n’est pas ce qu’il trouvera dans son dossier administratif qui lui permettra d’accéder à l’épaisseur de ce vécu !

Les parents présents aujourd’hui n’étaient pas là hier, les adultes présents hier se sont absentés. La naissance de l’enfant, la genèse de son histoire restent des événements étrangers, difficilement intégrables pour lui et pour ses parents. Or ici, quelque soit la bonne volonté de la famille, toute une partie des origines de l’enfant demeure inconnaissable, parce que fondamentalement inaccessible. Son corps a emmagasiné tout un ensemble de sensations, d’émotions mais personne ne peut l’aider à y mettre des mots.

Ce vécu l’habite comme une petite musique de fond. Mais cette mémoire est de l’ordre du sensible. Elle échappe à l’intelligible et ne peut se constituer en souvenirs. Elle risque de hanter l’enfant, ballotté entre oubli impossible et mémoire improbable.

La petite fille, le petit garçon peuvent en vouloir à leurs parents de ne pas les aider à se représenter leurs temps primordiaux, ce qui leur permettrait d’y mettre de l’ordre, de les organiser, de les dater. Il n’en faut pas davantage pour que la culpabilité galopante des parents s’anime et vienne répondre,  dans un écho amplificateur, à cette déception infantile.

Une représentation de l’origine pour le moins ambiguë

Bien des questions flottent dans la fantasmatique familiale. « Qui est la mère biologique ? Et son père ? Quelle est leur histoire ? Vivent-ils encore – où ? comment ? – Qu’est ce l’enfant porte en lui de cette histoire ? Quelles conséquences cela peut-il avoir sur son développement ? » Mais qui peut prétendre apporter des réponses ? Ce n’est pas tant ce « vide de savoir » qui est problématique, mais la manière dont chacun va le supporter, le combler, s’en défendre. L’inconscient familial va se gorger de toutes ces zones obscures. Autour de ce faisceau d’énigmes va s’organiser – de manière implicite – une bonne part des relations intrafamiliales.

Cette origine absente est pour le moins chargée d’ambivalence pour les parents. C’est tour à tour le lieu magique de la naissance de leur enfant et le spectre d’un héritage menaçant. C’est par un abandon que cet enfant est devenu leur fils ou leur fille, mais le même acte les empêche de se sentir père et mère à part entière. Tantôt, ils aimeraient purement et simplement éliminer cette origine extérieure à eux, par exemple en tuant psychiquement la mère biologique. Elle est bien dérangeante cette femme qui a « su » faire un bébé. Tantôt, devant les difficultés de l’enfant, il est bien commode de recourir au « c’est la faute à son origine ». Elle constitue une causalité explicative si facile !

Dans le même temps, les parents peuvent se référer à l’origine de l’enfant et la dénier.

Plus que de l’ambivalence, les parents risquent, quelquefois, d’envoyer à l’enfant un message sous forme de double lien, en les plaçant devant deux injonctions paradoxales: « Ton passé mérite qu’on s’en souvienne, mais surtout oublie tout de ce qui a existé avant nous. » Alors, il est plus facile à l’enfant de refouler tout en bloc. Et le passé, et le présent, et l’avenir.

Quelle place faire à l’origine ethnique, culturelle, biologique de l’enfant ?

Selon R. Neuburger (2) : « Un respect excessif liées à l’origine ethnique de l’enfant peut empêcher la prise de la « greffe mythique », ce processus imaginaire qui fait entrer un enfant dans son appartenance familiale, qui le situe dans une filiation, et une affiliation. » Si le lien fantasmatique de l’enfant à ses origines est important, les parents adoptifs ont trop souvent tendance à l’amplifier au point de le rendre envahissant. Il peut alors faire écran, et entraver les processus d’intégration familiale et psychique. A force de trop se préoccuper du pays d’origine, de la culture d’origine, on peut négliger la construction des liens d’appartenance dont l’enfant a besoin prioritairement. Croyant bien faire, les parents sont très soucieux de préserver la « vérité biologique ». Ils surinforment l’enfant, ce qui ne facilite pas  le processus d’affiliation. B. Cyrulnik (3) le confirme. « On a suivi des parents adoptants d’enfants étrangers qui ont rencontré les familles et leur ont donné des lettres et des photos pour qu’ils aient des nouvelles du petit. D’autres, au contraire ont refusé de rencontrer les parents biologiques. On a remarqué que c’est dans le groupe des enfants ignorants leur origine que l’attachement s’est le mieux établi. »

Une famille humaine est avant tout une famille symbolique

Ce ne sont pas les liens de sang, ni la couleur de la peau qui structurent le processus d’affiliation, d’appartenance, qui sont d’ordre de l’imaginaire, du symbolique. Ce sont les modèles partagés ou imposés, la manière dont on régit les liens dans le couple, dans la fratrie, entre générations. Ce sont les règles, les valeurs, la confiance que lui transmet au gré des jours la famille, c’est sa place dans l’ordre social dans lequel il évolue qui l’instituent comme sujet, et citoyen en lui offrant en partage une vision de l’univers, un imaginaire politico-religieux.

L’enfant des PMA, d’où vient-il ?

Bien que la filiation biologique des enfants nés grâce à une FIV soit claire, bon nombre de parents se demandent que dire à l’enfant de ses origines.

La transmission de la souffrance

Dans un tel contexte, ce qui peut poser problème, ce n’est pas la FIV en tant que telle, mais c’est la transmission d’une souffrance mal élaborée. L’enfant peut confusément sentir qu’il est chargé de réparer des blessures, qu’il est censé combler des manques, des renoncements. La moindre imperfection de l’enfant peut réactiver le sentiment de défaillance. Quand les blessures de la PMA n’ont pas pu être pansées, ni pensées, qu’il est difficile alors de renoncer au bébé rêvé et fantasmé ! « Avec tout ce que j’ai galéré….» me disait récemment une maman « …c’est vrai, j’ai du mal à accepter que mon fils ne soit pas comme je l’imaginais, peut-être pas parfait… mais… au moins plus facile, plus gentil avec moi »

Si l’arrivée du bébé comble un désir, elle n’élimine pas les affects « d’avant ».

L’enfant censé symboliser l’entente du couple, a souvent fragilisé celui-ci pendant le parcours du combattant qu’a été la PMA. Quelle place, quelle fonction aura-t-il dans le couple ? Avant de se demander quoi dire à l’enfant de ses origines, le couple n’a-t-il pas d’abord à Se dire ce qu’a représenté pour chacun l’arrivée de ce bébé ?

Un système de loyautés inversées

Les PMA jettent un trouble dans le système de loyautés. Traditionnellement, une femme qui ne peut engendrer se trouve en dette vis-à-vis de sa propre mère. Elle a reçu la vie. Et ce don la place devant une obligation morale, celle d’engendrer à son tour, d’assurer la permanence de la lignée. Le corps de la femme « doit » un enfant à sa famille, et à travers elle, à la société toute entière. Comment assumer sa dette de vie quand on se trouve stérile ?

Longtemps, dans les systèmes traditionnels, l’arrivée de bébé était  censée ramener le « compteur à zéro » entre les générations. Ici, la jeune mère a eu tellement de mal à avoir son bébé, qu’elle a plutôt l’impression que ce sont les autres qui restent en dette envers elle. Elle leur en veut inévitablement.

Afin de ne pas faire porter à l’enfant des règlements de compte qui ne le concerne pas, les parents ont à penser leur place dans le transgénérationnel, mais aussi dans leur fratrie.

L’IAD, ou l’origine de l’enfant comme corps étranger

L’IAD, une transmission de deux secrets ?

L’ IAD s’organise autour de deux secrets. Celui de l’anonymat du donneur, totalement encadré par la loi. Le 2° secret, organisé bien souvent par les parents autour de la stérilité du père. Quelle est douloureuse cette stérilité masculine et tellement taboue !

Entre l’homme et l’enfant, entre le père et la mère plane toujours plus ou moins la présence de ce « corps » étranger, que représente le sperme du donneur. Etrangeté qui peut être fantasmée comme la gestation d’un enfant adultérin. Impossible d’éviter des relents de jalousie, de rivalité envers le donneur, présent, d’une certaine manière dans le corps de la femme aimée et de l’enfant qui va naître.

En fait, tout ceci crée au sein du couple de profonds décalages. La femme vit une maternité quasi normale, alors que le père ne sait plus où il en est de lui-même. C’est l’homme qui est stérile, c’est la femme qui subit dans son corps les traitements. Décalages qui pourraient être renforcés par les fantasmes parthénogénétiques des femmes, se croyant dans une position de toute-puissance, puisqu’elles ont éliminé le père et le donneur. Ces fantasmes inconscients pourraient booster encore davantage l’angoisse de castration des hommes.

Dans un tel contexte que risque-t-on de transmettre à son enfant de ses origines ?

Le couple parental devenu inutile ?

Par rapport à l’adoption, ici on va plus loin dans la déconstruction des modèles. C’est un peu le concept de couple parental qui est remis en cause. Inutile en effet que les deux parents soient « logés à la même enseigne ». Un parent peut être biologique, l’autre social.

La question du père est centrale dans l’IAD. Elle en constitue la pierre angulaire. Il n’y a pas ou le donneur, ou le père social, il y a et le donneur, et le père social, dans une logique non concurrente et additionnelle. La parenté n’est plus une entité entière, une et indivisible, mais constituée d’acteurs intervenants à des moments successifs et interdépendants.

Constater l’enchaînement des besoins qui se complémentarisent et s’additionnent est important: un homme –anonyme- a eu besoin de donner quelque chose de lui, ce don a permis à un couple d’avoir un enfant, cet enfant reconnaîtra l’homme qui l’élève comme son père. Le donneur a besoin de receveur. Le père a besoin du donneur. La mère a besoin du consentement actif du père. L’enfant a besoin de la convergence de tous ces désirs pour exister.

Les origines se révèlent dans toute leur complexité. Bien que celle-ci soit difficile à penser, elle constitue l’essence même de la pensée des origines. Pour P.C Racamier (4) : « La pensée des origines est un processus. Elle constitue un soutien, un tissu sur lequel pourront se dessiner des origines différenciées. Elle garantit l’identité et la continuité ». C’est dans la capacité de trouver une unité, une cohérence, une permanence au cœur de ces différents fils, trames, écheveaux que le sujet structure son identité.

L’homoparentalité en questions

L’origine diffère selon les situations

Les familles homoparentales se constituent à partir de 5 situations possibles.

1- un des parents hétérosexuels devient homosexuel – ce sont les situations les plus nombreuses.

2- l’adoption par un célibataire, majoritairement des femmes.

3- la coparentalité : un homme s’entend avec une femme. Après une insémination « artisanale » faite maison, la mère donnera naissance à un enfant reconnu par son père biologique. Chaque parent biologique vit séparément, mais l’enfant peut être élevé par ses deux papas, et ses deux mamans.

4- IAD. Une femme seule ou en couple se rend dans pays qui l’autorise pour recevoir un don de sperme.

5- une mère porteuse. C’est la façon pour un homme d’avoir un enfant.

Les filiations sont donc diverses et ne posent pas toutes les mêmes difficultés.

Dans le cas de coparentalité, une pluri parentalité se met souvent en place, il peut y avoir – il est important qu’il y ait- une assez rapide visibilité des origines de l’enfant. L’enfant peut y trouver ses repères identitaires et affectifs. La question est alors une question de rythme de passages d’un foyer à une autre, de répartition du temps entre les moments passés chez les mamans, et ceux passés chez les papas.

Quant aux enfants issus de précédentes unions hétérosexuelles, leurs origines sont repérables, mais ils traversent des zones de turbulences patentes, liées aux souffrances parentales et à leur propre système de représentation. La nouvelle orientation sexuelle du parent homo constitue un véritable séisme pour l’autre membre du couple, profondément bouleversé dans son image de soi et dans son identité sexuée. Comment ai-je pu vivre avec quelqu’un qui n’était pas celui ou celle que je croyais connaître. Qui donc ai-je aimé ? Avec qui ai-je fait l’amour ? Le « qui est-il » renvoie au « mais qui suis-je ? » Le parent homosexuel, de son côté, est terriblement tiraillé. Bien souvent, il peut continuer à éprouver de l’affection pour son ex, il ne le/ la quitte pas parce qu’il ne l’aime plus, mais parce qu’il a envie de réaliser quelque chose longtemps réfrénée. Le choix s’impose désormais, mais toute une partie de soi, de sa vie reste attachée à l’histoire du couple.

L’enfant est plus ou moins pris par tous ces affects souvent massifs. Il doit vivre le deuil du couple parental, tout en restant dans des non dits quant à la raison de la séparation. L’homosexualité du parent a tellement du mal à être révélée. Ce non-dit arrange pour un temps tout le monde. L’enfant pressent quelque chose qu’il n’est pas pressé d’entendre explicitement.

La filiation homoparentale la plus délicate, c’est celle constituée par IAD ou par une procréation pour autrui (mère porteuse). Le risque, c’est d’éliminer ou d’occulter la part de l’ « autre ». Deux mamans peuvent exclure toute référence au donneur, remisé à une place d’étalon. Ou deux papas peuvent rendre le ventre de la mère porteuse tout à fait opératoire. Il est essentiel de réintroduire la part du don. Souvent ces attitudes sont d’autant plus gênantes et dommageables qu’elles sont l’expression de « règlements de compte avec l’autre sexe ».

Si le tiers « nécessaire » à la conception est exclu, ni nommé, ni identifié au moins verbalement, si une place ne lui est pas faite au moins psychiquement, il manque à l’enfant un élément du puzzle constituant son origine. Pour qu’un enfant puisse construire son identité sexuée, il faut qu’il puisse reconnaître sa double filiation, qu’il puisse reconnaître la part des différents acteurs lui ayant permis de naître.

Les questions des enfants

Quelque soit son origine biologique, les enfants de manière plus ou moins métaphorique posent un certain nombre de questions communes.

« De quel couple, suis-je né(e) ? » Le fait d’appartenir à une famille homoparentale ne rend pas hermétique au modèle biologique. Les enfants savent qu’il faut un papa et une maman pour faire un enfant, que les couples de mamans, ne peuvent pas à elles seules avoir un bébé. Ils ont donc besoin d’entendre d’où ils viennent.

La deuxième question pourrait s’intituler : « Quelle est la sexualité de mes parents ? Si mes parents ne sont pas ensemble pour faire des enfants, alors que font-ils/elles ? »

Ce que fantasment les enfants à propos de la sexualité des parents les aident à élaborer la leur.

En effet, pour G. Delaisi de Parseval : « l’identité de l’enfant se forme dans le creuset de la vie psychique, relationnelle et sexuelle des parents qui sont responsables de lui et l’élèvent. Si ses parents ont peu ou pas de relations sexuelles, cas de certains couples hétérosexuels, (ou monoparentales) il aura du mal à  construire son identité sexuée. »

Ce que les enfants découvrent dans les familles homoparentales, c’est la dissociation entre sexualité et engendrement. Ils sont élevés dans cette évidence là.

La 3° question tourne autour du symbolique. « A quelle histoire j’appartiens ? Qu’est ce que je partage en commun avec ma mère, ma sœur, ma tante, même si nous n’avons pas la même origine biologique ? D’où vient cette famille bien singulière dans laquelle j’évolue ? Elle ne vient pas du néant, c’est sur. En un mot quel est notre socle symbolique commun ? » Quand on lui transmet peu d’éléments, je constate souvent que l’enfant, comme un arbre qui va chercher l’eau en profondeur quand elle fait défaut en surface, va puiser dans l’histoire mythique les racines symboliques dont il a besoin pour grandir. Il trouve dans la vaste mémoire de l’humanité des repères qui vont l’aider à construire le roman de ses origines.

Une quatrième question se pose aux enfants : « et moi, quelle petite fille je suis, quelle femme je serai ? Quand je serai grande, je veux me marier avec un chéri et avoir des enfants. »

L’interrogation sur sa propre identité sexuée est là, peut-être avec plus d’acuité que dans des familles hétérosexuelles. Elle sera revisitée à l’adolescence, mais elle pointe précocement.

Contrairement aux stéréotypes, l’enfant élevé dans une famille homoparentale est d’emblée placé dans la différence. Il voit devant lui de multiples modèles : celui du couple parental, mais aussi celui des grands parents, des oncles, tantes, des copains ou copines de l’école, de la TV. Toutes ces multiples représentations du féminin et du masculin sont autant d’offres identificatoires différentes. Le choix s’étale devant les yeux curieux de l’enfant, et se fait de moins de moins en référence avec l’univers, les normes, règles ou lois intra-familiales.

Dépoussiérer le concept d’origine

Les origines s’imposent donc de plus en plus dans leur métissage. Comment aider les familles à dérouler une parole structurante sur cet originaire complexe ?

Dénoncer le risque idéologique de toute sacralisation des origines

Dans un tel environnement, la référence aux origines s’avère plus nécessaire que jamais ; en témoigne l’engouement du grand public pour le généalogique. Mais, attention, soyons très vigilants, cette quête des origines n’est pas sans risque de dérives. Toute sacralisation ou crispation sur les origines est un danger potentiel et constitue un véritable obstacle au travail de subjectivation. La métaphore évoquée par N. Mafhous (5) est éloquente : « Je n’aime pas le mot « racines » et l’image encore moins. Les racines s’enfouissent dans le sol, se contorsionnent dans la boue, s’épanouissent dans les ténèbres. Elles retiennent l’arbre captif dés la naissance et le nourrissent au prix d’un chantage : « tu te libéres, tu meurs. »

Les origines singularisent un individu à partir du moment où il les reconnaît, les ignorent, les renient, les transmet, les oublient. Il faut s’autoriser à les trahir, pour mieux les respecter.

Les origines ne sont pas une réalité immuable, inaltérable qui parlerait s’une pureté perdue qui serait à préserver et à sauver. Ce genre de dérive mène l’humanité aux pires crimes. Le passé ne peut pas être une justification du présent ou une légitimation. La recherche des origines peut à un moment devenir une quête sans fin et peut-être même sans objet, dans une logique nostalgique, tournée vers le passé, régressive.

Il n’existe pas de « moi pur originel » qui serait à rechercher, à retrouver en remontant le temps. Rien ne perdure à l’identique à travers le temps. Les lieux, temps originaires sont toujours perdus, qu’on les ait connus, ou non. Accepter cette perte nous projette dans le futur, dans une dynamique féconde. « La recherche d’origine tel un ciel bleu n’est qu’un leurre. Les commencements sont bas. Le matin éclairé du monde n’existe pas, ce qui permet parfois à l’homme, à la femme d’éclairer le monde. » M. Foucault (6) rappelait que l’acte philosophique consiste à créer « l’irréversible de la séparation d’avec l’origine. »

Remonter le temps pour expliquer l’histoire : fiction ! imaginer l’origine comme quelque chose de méta historique, anhistorique qui renfermerait les significations du présent, rien de tel pour s’aliéner et s’enfermer dans un système de causalité. Prendre acte que la séparation d’avec les temps originaires, les lieux originaires a bien eu lieu, et de manière irréversible. Cela permet de recréer en soi les ressorts de cette énergie vitale, primordiale.

Ne plus chercher l’origine dans le passé, permet d’être sans cesse dans un processus de créativité. « A force de vouloir rechercher les origines, on devient écrevisse. » Nietzsche, dans « le crépuscule des idoles »

Donner de l’amplitude à ce concept : L’origine, ça commence où ?

Contrairement à certains stéréotypes qui voudraient la figer, l’origine ne se laisse pas réduire à un point clos, fixe ou définitif de notre histoire. Elle ne se résume pas, loin s’en faut à une date ou lieu de naissance, ni même à une famille.

Car l’origine ça commence où ? Il y a toujours une origine à une origine. Avant moi, il y a avait mes parents, avant eux, il y avait les ancêtres, avant eux il y eut le déluge, et avant avant … Après une origine, on trouve encore une autre origine, ou alors nous butons et trébuchons sur l’éternité -et comme disait W. Allen : « L’éternité, c’est bien, mais c’est un peu long, surtout vers la fin.» ou bien nous nous heurtons à l’immortalité, et ce n’est pas mieux, selon F. Nietzsche (7)« On peut mourir d’être immortel. »

Les temps des commencements nous conduisent aux confins de l’intelligible. L’origine est fondamentalement irreprésentable, inconcevable, impensable et bien entendu, nous avons un besoin irrémissible de la penser, de la représenter, la concevoir.

N’est ce pas la recherche de cet indéterminable qui est à l’origine précisément de notre volonté de savoir, de notre capacité d’abstraction, notre ouverture à la spiritualité.

Parce que l’origine est insituable, parce qu’elle n’est qu’un territoire incertain, qu’elle appartient à un temps immémorial, elle nous entraîne dans un mouvement incessant. C’est un processus toujours à l’œuvre qui nous inscrit dans la plus grande mobilité. Elle inscrit l’être humain dans une fluidité étourdissante.

Indélébile, elle reste pourtant toujours à recréer. L’origine, c’est davantage l’horizon du devenir que le lieu du souvenir. Ne l’enfermons pas dans les replis de la nostalgie, elle tient sa magie de son énigme irréductible.

D’ailleurs c’est bien cette amplitude des origines que la clinique des enfants révèle. Ils y sont tout à fait spontanément.

L’origine, au-delà du transgénérationnel

Les origines de la vie

La question de l’origine s’impose d’abord sur un mode très philosophique aux enfants, et sur le registre de l’existentiel. Dés qu’ils accèdent à la conscience du temps, les enfants en comprennent la loi inéluctable. La mort est contenue dans tout ce qui a un début. L’origine inclut la finitude. Penser l’origine, c’est affronter la certitude de la fin. Pas facile, cependant ils y parviennent plus ou moins.

Mais une autre angoisse gronde en eux, plus sourde, plus archaïque. Vertigineuse, elle vient de très loin, d’avant les mots, elle les place face au néant, et devant une totale solitude. « J’étais où quand j’étais pas né ? J’étais rien ? C’est comment quand on n’est pas encore dans le ventre de la maman? On attend où ? »

Ce n’est plus tant la pensée de l’origine qui trouble, c’est l’inconcevable du « avant d’avant moi. » Comment concevoir qu’avant de naître, on n’existait pas ? Terrifiante angoisse d’anéantissement, dans laquelle se manifeste la crainte d’être englouti par ce monde, par son immensité, dévoré, ou rejeté. Pour ne pas y sombrer, il leur faut dater le temps, ponctuer l’histoire, construire des limites à cet inconcevable pour le rendre représentable.

Imaginer qu’on a été personne, faut-il en passer par là pour devenir quelqu’un ?

Trouver sa place dans la filière de l’humanité

D’autres questions surgissent qui permettront aux enfants de se situer dans l’immensité du temps et de l’espace : « tu les as connu, toi les dinosaures ? » « Avant le Big-bang, y’avait quoi? » « Et le ciel, i’tient comment ? » « et le 1° canard, la 1° fleur, i’sont venus comment »

Les enfants ont une passion toute particulière pour les dinosaures. Ils servent de support à la représentation des temps primordiaux. C’est par l’imaginaire que l’enfant peut avoir accès à ces temps originaires.

Percevoir qu’on est la résultante de toute cette magnifique histoire, savoir que l’on fait partie de cette espèce de « fil- filière » de l’évolution a quelque chose de rassurant et permet de lutter contre les angoisses. H. Reeves (8) explique que nous sommes tous « poussières d’étoiles », et c’est bien ainsi que les enfants pressentent l’unité du vivant. Se sentir relié à une filiation cosmique inscrit l’enfant dans la grande aventure de l’humain. Ouf ! Il était temps, lui qui se sentait un peu seul, perdu.

L’enfant se trouve en se situant au cœur de ses multiples liens et appartenances, qui sont loin de se limiter à son contexte familial. L’appartenance à la famille d’aujourd’hui, aussi aimante soit-elle, ne suffit pas à inscrire l’enfant dans son histoire. En élargissant ses perspectives de filiations, l’enfant tisse son humanité. Humain parmi les humains, il construit son rapport aux autres. Ainsi quelque soit son mode de procréation, son origine biologique, l’enfant se perçoit d’abord comme enfant de l’univers.

La filiation en question, ou le roman familial.

Mes vrais parents ?… Chut, c’est un secret.

En grandissant, l’enfant va commencer à se centrer davantage sur son univers familial. Inévitablement, la question des origines interrogera les processus de filiation. Là aussi, quelque soit la structure de la famille, le sentiment d’appartenance se construit en se déconstruisant à un moment donné. Pour l’enfant, la filiation n’est pas une donnée intangible, immuable. Elle ne s’impose pas comme une évidence durable, ni comme une chose sacrée à laquelle il serait interdit de toucher. Au contraire, pour les enfants  la filiation, l’appartenance sont des objets à questionner. Dans un mouvement très spontané et très naturel, ils n’hésitent pas à  la mettre en doute. Du haut de leurs cinq ou six ans, ils la contestent, la rejettent pour, en général, mieux y adhérer ensuite. En parodiant S. De Beauvoir, on pourrait dire : « On ne naît pas fils ou fille de ses parents, on le devient. »

La filiation, un travail sans cesse à l’œuvre ?

Se sentir profondément – j’allais dire viscéralement – enfant de ses parents nécessite un cheminement bien particulier, et sans doute jamais réellement fini. La filiation, ce n’est peut-être que la résultante d’un processus complexe d’affiliation, impliquant tout à la fois le biologique, l’affectif, le symbolique, le juridique, et bien d’autres choses encore.

A un moment de son histoire, l’enfant se forge, en y croyant dur comme fer, une nouvelle constellation familiale. Ce n’est pas par simple goût du mensonge qu’il en vient au roman familial. Il s’agit d’un processus constituant de son sentiment d’appartenance. L’enfant, mais peut-être tout individu a besoin de refuser ce qui existe – bon ou mauvais – pour le recréer, et pouvoir s’y inscrire autrement. Les enfants auraient-ils lu Nietzsche ? Ainsi en effet parlait Zarathoustra à ses disciples : « A présent, je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-mêmes ; et ce n’est que lorsque vous m’aurez tous renié que je reviendrais parmi vous… je vous aimerai d’un autre amour… vous serez de nouveau les enfants d’une seule espérance. »

A la sortie du roman familial, la famille à laquelle il s’affilie n’est pas, aux yeux de l’enfant la même famille que celle d’avant. Dans cette expérience de la dépossession, de la désappartenance, l’amour perd sa dangerosité. Tout se passe comme si l’enfant devait perdre « symboliquement » sa famille d’origine pour y revenir autrement, dans une nouvelle position, plus actrice, plus motrice et plus investie. Pour P-C Racamier « On n’investit que ce qu’on invente, et l’on invente que ce qui existe déjà »

La famille, quelque soit sa structure devient bel et bien pour l’enfant une réalité « créée -trouvée ». Processus que Winnicott (9) considère comme structurant le rapport de l’enfant à son contexte. Cette réalité apparaît souveraine, parce que remaniée par le monde interne de l’enfant. Elle parait ainsi plus supportable, mieux ajustée à ses désirs, à ses besoins.

Ce détour lui permet non seulement de changer de représentation, mais aussi de position par rapport à la famille et par rapport à la vie. Il accède d’une manière essentielle à une position de sujet, de sujet de son histoire malgré tous les déterminismes de son origine.

Le roman familial est un acte tout à fait personnel qui rend l’enfant auteur, co-auteur de son existence. Il le place dans une dynamique vivante par rapport à la question des origines.

J’ai pas d’mandé à naître !

L’adolescence ouvre sur de nouvelles interrogations. Les questions des origines culturelles, ethniques, religieuses vont être plus cruciales. « Que puis-je faire de mes origines ? » « Compte-tenu de là d’où je viens, qui puis-je devenir ? » « Ma couleur de peau, mon nom à consonance étrangère comment faire pour qu’ils ne m’entravent pas ? »

Les origines conditionnent elles totalement un individu ? Peut-on s’en libérer, au prix de quoi ? L’adolescence est un puissant révélateur des contraintes qui pèsent sur un individu. A cet âge, on mesure tout le poids de son histoire. On cherche à s’en dégager, autant qu’on craint de s’en libérer. L’ adolescent se trouve ainsi plongé dans une tension extrême entre déterminisme et liberté, entre fidélité et trahison. A quoi être fidèle ? Qui faudra-t-il trahir pour devenir soi-même ?

Dans un maillage quelque peu inextricable, la question « qu’est-ce que je peux faire de mes origines » se heurte à « qu’est ce que je vais faire des origines de mes parents ? »

Toute la question est de savoir quelle distance prendre alors par rapport aux origines des parents. L’adolescent va réécrire encore autrement son récit des origines en intégrant ou en rejetant celles de son histoire familiale.

Conclusion : L’origine, un conte inachevé…

Ainsi le récit de l’origine est sans cesse à faire et à défaire. Il était une fois l’origine… l’origine n’est donc qu’un conte, mais le fait qu’elle soit un conte, ce n’est pas rien. C’est un récit qui sépare et relie à la fois. A aucun âge de la vie nous n’avons la même représentation de nos origines, des origines de nos enfants, de nos parents, ni la même position. S’il appartient aux parents de donner aux enfants des éléments permettant cette élaboration, le récit de ses origines est un acte qui reste libre et singulier.

Dans cet inextricable maillage de la vie et de la mort lié à l’origine, peut-être s’agit-il avant tout de transmettre à l’enfant notre confiance en la vie. On pourrait évoquer P. Ricoeur (10) Pour lui, le don suprême c’est « le report sur les autres de mon désir de vivre dans ce qu’il a d’invulnérable, de plus fort que la mort »

Références :

1. M. Gauchet. Entretien M. Gauchet. In Enjeux – janvier 2005. A propos du livre de M. Godelier « Les métamorphoses de la parenté. » Fayard. 2004.

2. R. Neuburger. In « L’adoption, une aventure familiale. » Sous la direction de B. Prieur. ESF. 1995.

3. B. Cyrulnik. « Les nourritures affectives. » O. Jacob. 1994.

4. P.C.Racamier. « La pensée des origines ». Payot. 1992.

5. N. Mafhous. « Origines » Grasset. 2004.

6. M. Foucault. In « Magazine littéraire ». Oct. 2004. Article de A. Farge.

7. F. Nietzsche. « Ainsi parlait Zarathoustra ». Gallimard. 1947.

8. H. Reeves. Collectif. « La plus belle histoire du monde : les secrets de nos origines » ED. Le Seuil. 1996.

9. D.W.Winnicott. « Jeu et réalité ». Ed Gallimard.1971.

10. P.Ricoeur. « Vivant jusqu’à la mort ». Le Seuil. 2007.