Si, à 18 ans, on peut, du jour au lendemain, s’occuper seul de son compte bancaire et de ses placements, le jeune majeur continue souvent à dépendre financièrement de ses parents. La situation n’est pas toujours simple à gérer pour les deux parties.
Génération 2004. Ils passent leur bac cette année, sont désormais majeurs ou presque et ont, pour certains, voté pour la première fois à l’élection présidentielle. Il suffit d’une bougie supplémentaire sur un gâteau d’anniversaire pour basculer dans le monde des adultes : le jeune de 18 ans peut ouvrir seul un compte en banque, souscrire les placements de son choix, contracter un crédit, se marier ou se pacser, se porter caution pour un tiers ou encore signer un bail pour louer un appartement. C’est également à cet âge que s’ouvre l’accès aux sites de paris sportifs.
« Il n’y a pas de transition : avant 18 ans, le jeune ne peut rien faire seul ; une fois majeur, il peut gérer et disposer librement de ses biens sans que ses parents puissent s’en mêler », explique Me Xavier Boutiron, notaire associé chez Cheuvreux.
Non seulement l’accord des parents n’est plus nécessaire, puisque le jeune devient capable au sens juridique du terme, mais ces derniers ne sont même pas nécessairement informés : ceux qui suivaient jusque-là les dépenses de leur rejeton sur leur application bancaire n’ont plus accès au compte de leur enfant le jour de sa majorité, sauf si celui-ci signe une procuration.
Une autonomie bienvenue pour ces grands adolescents jusque-là contraints à la ruse pour garder leur jardin secret. Avant 18 ans, nombre d’entre eux retirent des espèces au distributeur de billets afin d’éviter de laisser des traces : l’argent liquide peut être utilisé sans avoir de comptes à rendre, tandis que les paiements par carte permettent aux parents d’identifier le lieu et la date de chaque dépense – du genre : « Mais qu’est-ce que tu faisais dans un McDo à l’autre bout de la ville le 6 mai ? »
Une « dette éthique »
A 18 ans, un nouvel équilibre doit s’installer. « Le jeune adulte est désormais autonome sur le plan juridique, il fait ses études, est parfois en couple mais continue à dépendre financièrement de ses parents. On sait que cela crée une loyauté invisible, car l’enfant se sent en quelque sorte responsable vis-à-vis de ses parents », décrit Nicole Prieur, philosophe, thérapeute familiale et coautrice avec Bernard Prieur du livre La Famille, l’argent, l’amour (Albin Michel, 2016).
« Cette dette éthique est un moteur, mais peut aussi peser lourd lorsque le jeune se sent obligé de poursuivre des études financées et choisies par ses parents », poursuit Mme Prieur.
Il faut donc du temps pour devenir autonome en matière financière. « On n’est pas complètement adulte tant qu’on reste dépendant financièrement de ses parents », rappelle de son côté Béatrice Copper-Royer, psychologue clinicienne spécialisée dans l’enfance et l’adolescence. Le jeune majeur reste d’ailleurs le plus souvent dans le foyer fiscal de ses parents, qui continuent ainsi à bénéficier de sa part ou demi-part fiscale et doivent déclarer les éventuels revenus de leur enfant.
Cette déclaration de revenus peut être l’occasion d’aborder le sujet de l’argent en famille. « Les parents ont, eux aussi, un budget à respecter. Le sujet est souvent tabou, mais il est important de parler aux jeunes adultes de ses éventuelles difficultés autour de ses revenus, du crédit immobilier, de l’achat d’une voiture ou du financement des études », ajoute Mme Copper-Royer.
A leur majorité, certains jeunes se retrouvent à la tête d’un héritage dont ils peuvent désormais disposer légalement. C’est le cas lorsque l’un des parents est décédé quelques années auparavant ou, plus souvent, quand un grand-parent décédé avait prévu par testament de laisser une somme d’argent à chacun de ses petits-enfants.
Tant que l’enfant est mineur, ce sont ses parents qui gèrent les biens reçus en héritage. « A sa majorité, l’enfant récupère le pouvoir de gestion : il dispose librement de cet héritage, et peut donc le vendre s’il le souhaite, sans que ses parents puissent rien y faire », rappelle Me Boutiron. Avec la tentation, pour certains, de profiter de leur nouvelle liberté et de ces fonds tombés du ciel.
Des clauses « garde-fous »
La situation est un peu différente en cas de donation, lorsque des parents ou grands-parents transmettent de leur vivant un bien ou une somme d’argent à un mineur. « On peut réaliser une donation avec charges : cette clause peut prévoir que l’accord des parents est nécessaire pour vendre le bien pendant une période prédéfinie, par exemple jusqu’aux 25 ans de l’enfant ou jusqu’à la fin des études », détaille ainsi Me Boutiron.
Même précaution pour les contrats d’assurance-vie ouverts au nom d’un mineur par ses parents ou grands-parents. A ses 18 ans, il en dispose librement, dans le respect des conditions prédéfinies. « Ces clauses sont de bons garde-fous. Cela évite que le jeune ne dépense tout en quelques mois, grisé par la somme mise à sa disposition, alors que les ascendants avaient souvent en tête qu’elle puisse servir d’apport pour un achat immobilier », note Stéphane van Huffel, directeur général de la plate-forme de solutions de placement Netinvestissement.
Mais gare aux clichés, les jeunes ne sont pas tous des cigales tentées de flamber leur capital. Une partie de la Gen-Z (génération Z, c’est-à-dire les 13-25 ans) veut devenir riche ! Ainsi, Yomoni (produits d’investissement en ligne) a reçu des demandes d’ouverture de compte de la part de jeunes qui souhaitaient investir sur les marchés financiers plusieurs dizaines de milliers d’euros provenant… d’un crédit étudiant.
« Nous avons eu plusieurs demandes de ce type. Les jeunes ont dans l’idée de faire fructifier leur capital avant de commencer à rembourser leur prêt dans cinq ans. Bien entendu, nous leur expliquons que ce n’est pas possible, car la Bourse est un investissement risqué nécessitant un horizon de long terme, bien supérieur à cinq ans », précise Charlotte Thameur, directrice conseil de Yomoni.
Agnès Lambert