les articles et tribunes parus dans la presse autour de mon travail

Avoir un enfant préféré : un sujet tabou ?

Psychologies Magazine, septembre 2022

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les REbelles sœurs

Madame Figaro, 2-3 septembre 2022

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Les aînés sont-ils toujours les chouchous ?

article paru sur nouvelobs.com, 03/08/22

PORTRAIT DE FAMILLE (3/5). Ils sont agaçants avec leur petit air d’antériorité. Leur rang de naissance en a fait les héritiers naturels jusqu’à la Révolution. Et ça dure…

Il y a de quoi avoir un petit problème avec les aînés. Filles ou garçons, ils réussissent mieux à l’école et en sortent plus diplômés. Les parents, entièrement disponibles au soin de leur petite personne, s’investissent davantage dans leur éducation, les « poussent » comme on dit. Et eux, fièrement, creusent l’écart dès le collège. Ils finissent, conséquemment, plus haut dans l’échelle des positions sociales. Le fait est établi depuis une étude du démographe Guy Desplanques , en 1981 : « Aînées et aînés connaissent plus fréquemment que le reste de leur génération la réussite scolaire ou professionnelle. » C’est une moyenne statistique, évidemment (certains aînés, défiant la loi générale, s’appliquent à être de vrais cancres), mais c’est sans appel. Fascinés par les différences génétiques, ou stimulés par le narcissisme de la petite différence, on a aussi défendu qu’ils étaient plus grands physiquement et un peu plus intelligents. Mais la polémique lancée par les neurosciences il y a quinze ans s’est éteinte d’elle-même : pas de QI supérieur pour les premiers-nés.

Mais à défaut d’être plus vifs, ils sont plus riches. Car non contents d’être plus souvent cadres que leurs frères et sœurs, les premiers de la fratrie ont la belle part du gâteau à la mort des parents. Les sociologues Céline Bessière et Sibylle Gollac, qui ont épluché des enquêtes de l’Insee et fouillé les archives notariales pour leur livre « le Genre du capital » (La Découverte, 2020), ont montré que les aînés, en particulier les garçons, reprennent plus souvent l’entreprise des parents dans les familles d’indépendants ou, chez les salariés, la maison de famille. Les autres enfants reçoivent une compensation en argent, souvent moins avantageuse qu’un bien immobilier ou professionnel.

Comment le beauf est-il devenu beauf ? Les aînés ont-ils toujours été les chouchous ? La « vieille fille » ne serait-elle pas une figure de la sagesse décroissante ? Cet été, « l’Obs » s’interroge sur la famille et les regards, culturellement chargés, que nous posons sur elle. L’occasion de prendre à rebrousse-poil pas mal de stéréotypes et de s’interroger sur ce qu’ils disent de la société dans laquelle nous vivons.

Le « chouchou objectif »

« Le droit d’aînesse n’existe plus en France, ce qui ne veut pas dire que tous les enfants sont à égalité », note finement Sibylle Gollac. Mais pour percevoir ces inégalités de capital économique (et pas seulement culturel) selon le rang et le genre, les chercheuses ont dû s’extraire de la représentation de la famille moderne comme compromis parfait entre dépendance et autonomie, comme équilibre idéal et confortable entre communauté et individualité. Et y faire rentrer un peu de rapports de force. Quitte à mettre en lumière ce qu’on préférerait ne pas voir.

Qu’on se rassure tout de même : la plupart des investissements dont bénéficient les aînés sont inconscients. Qui oserait dire aujourd’hui qu’il préfère tel fils ou telle fille ? La réussite du premier enfant est simplement vécue comme une forme d’accomplissement par les parents : ils sont parvenus à transmettre leur statut social. Bref, tentons le distinguo suivant (qui soulagera les petits comme les grands) : les aînés sont des chouchous objectifs, et non subjectifs.

Il n’empêche qu’à l’heure où chacun est invité à, selon la formule en vogue, « reconnaître ses privilèges », la place de chacun au sein de la fratrie doit être examinée. Déjà, au coeur de la chaude nuit du 4 août 1789, au moment de défaire le régime féodal, les députés de la Constituante sont allés droit vers le rang de naissance. Mirabeau a été le promoteur le plus célèbre et le plus actif de la suppression du droit d’aînesse. Bien que fils aîné lui-même (d’un père qui le fit enfermer à plusieurs reprises par lettres de cachet), il a proclamé lors d’une séance de l’Assemblée ( dans un discours lu par Talleyrand, quelques heures après sa mort) : « Il n’y a plus d’aînés, plus de privilégiés, dans la grande famille nationale. » A bas le père, qui ne fera plus régner sur la famille son autorité arbitraire ; vive l’égalité des positions ! Et tant mieux si cette égalité permet, en passant, le démantèlement des grands domaines et la faillite des grosses fortunes.

Geoffroy et Foulques

Sauf que les choses ne se sont pas déroulées de façon aussi claire et nette que dans la tête des révolutionnaires. La France a résisté âprement. Les historiens ont montré comment des générations, de nobles comme de roturiers , avaient contourné le Code civil pour continuer à privilégier les aînés et à maintenir l’intégrité des domaines. « Les herbages s’opposent à cette division des propriétés » , disait déjà un député en 1791. Ces comportements d’esquive se sont conservés jusqu’au milieu du XX e siècle. Tout comme a perduré cette habitude saugrenue de donner son prénom au premier garçon. Ainsi mon grand-père et son père étaient baptisés Marcel. Chez les ducs d’Aquitaine, autre temps autre sang, on préférait Guillaume. Et les comtes d’Anjou penchaient pour Geoffroy (ou Foulques).

C’est peu dire que dans l’histoire les aînés ont connu un destin particulier. « Il faudrait parler plus justement d’une fabrique de l’aîné », note l’historien Elie Haddad. Que ce nouveau-né vous transforme en parents émerveillés comptait moins, sous l’Ancien régime, que sa future capacité à endosser son rôle d’héritier et de patriarche. Quand il y avait des ratés des enfants défaillants ou, bien sûr, morts en bas âge , on se félicitait d’avoir eu plusieurs garçons. Qu’un premier ait l’opportunité de devenir abbé, belle position qui allait rejaillir sur toute la famille, et on se tournait vers le deuxième. Bref, l’aînesse n’était Tous droits de reproduction et de représentation réservés au titulaire de droits de propriété intellectuelle jamais une position absolue.

Cette supériorité absurde de quoi naître le premier serait-il le gage ? n’a pendant longtemps pas fait d’histoires au sein des familles. Elle a été tolérée au nom de la conservation du patrimoine sur une grande partie du territoire français du Xe -XIe siècle, époque où le droit d’aînesse se met en place, jusqu’à la Révolution et au-delà. Il faudrait apporter des nuances à ce tableau, évidemment. Par exemple, les Bretons, qui ne font rien comme tout le monde, connaissaient le droit de juveignerie (tout pour le puîné, l’enfant qui est né « après ») ; en Normandie, on resta attaché à l’égalité du partage ; et chez les Basques, chose rare, l’aîné pouvait être une aînée. Evidemment, il faudrait dire aussi que tous les cadets ne se sont pas soumis si facilement.

La revanche des cadets

Pour une majorité d’entre eux qui, privée de l’héritage paternel, acceptait son sort en épousant une vocation religieuse ou en embrassant une carrière militaire, combien se sont révoltés ? Difficile à dire, les études sont rares. Comme le fait justement remarquer l’historien Didier Lett, les frères et les soeurs sont les « parents pauvres » du roman familial : « Dans une optique d’anthropologie structurale, les historiens ont surtout centré leur attention sur la filiation et l’alliance. » Mais les contes pullulent de derniers non résignés, rusés et fortes têtes. C’est le cas du « Petit Poucet », héros de Charles Perrault (lui-même ultime fils d’une famille de sept), qui sauve ses frères par sa ruse et son audace (pas chien, il repêche y compris son aîné que le conte présente explicitement comme l’enfant préféré de la mère). Sans oublier « le Chat botté », qui tire son maître de la misère à laquelle sa position de troisième fils de meunier l’a réduit.

Si la mythologie et la Bible affectionnent les couples de jumeaux ou quasi-jumeaux et leur rivalité mortifère (Rémus et Romulus ; Abel et Caïn), les contes et les fables se délectent de l’intervalle névrotique lié au rang de naissance. Peut-être parce qu’ils étaient racontés au coin de feu quand toute la famille était réunie, dans une sorte de préfiguration de nos thérapies familiales. Dans un article consacré aux fratries dans les contes des Grimm (qui s’y connaissaient en frères), la psychanalyste Sabine Compoint rappelle le dispositif récurrent : le puîné « apparaît aux yeux de tous comme la version ratée » de son grand frère. A partir de là, « le récit merveilleux opère un renversement et montre comment la faiblesse peut être une force, la pauvreté, une richesse et la carence parentale, une ouverture à des étayages pluriels et différenciés. » Et les aînés sont bien punis de leur arrogance, eux qui ne prêtent pas assez attention aux autres.

L’impossible trahison

Eternelle morale de l’histoire. On ne compte plus les portraits psychologiques à gros traits : les aînés, jalousement attachés à leur place et soucieux de la conserver, sont obéissants, conventionnels, sérieux, consciencieux, conservateurs… Qu’il nous soit permis à nous aussi un renversement. Car ce n’est pas si facile d’être l’aîné. Le « chouchou objectif » est tout de même doté d’une subjectivité. Or tout ce qu’il gagne, de diplômes, de capitaux économiques et sociaux, sans l’avoir demandé, il le paie, aussi. Notamment d’une loyauté bien souvent à toute épreuve envers la famille. Un poids de la dette qui ferait pâlir nos économistes s’il était convertissable en monnaie courante. La psychologue Nicole Prieur, dont le livre porte un titre ô combien significatif, « les Trahisons nécessaires » (Robert Laffont, 2021), observe que les attentes sur les aînés sont beaucoup plus fortes : « C’est l’enfant investi de tous nos rêves. La contrepartie est forcément forte. »

Et elle ne s’étend pas qu’aux parents mais aussi aux autres frères et soeurs, envers lesquels il est attendu que le premier-né se comporte bien, voire endosse un rôle parental. « Devoir des aînés : n’abusez pas de votre autorité ; soyez conciliant ; montrez le bon exemple ; faites plaisir à vos parents » , recommande un manuel de politesse et de savoir-vivre de 1935. L’aîné sommé d’aider ses parents, voire de s’y substituer en période difficile, n’est pas qu’un cliché des siècles passés. Annabelle Allouch, sociologue de l’éducation, qui signe « les Nouvelles portes des Grandes écoles » (PUF, 2022), assure qu’aujourd’hui encore le grand frère ou la grande soeur prend le relais des parents, notamment dans les familles populaires, pour encourager les cadets et cadettes à bien travailler à l’école : « Ils ont un rôle très légitimiste, et déterminant, dans la transmission des normes et hiérarchies scolaires. »

Couple : secret dépenses

Madame Figaro, 15-16 juillet 2022

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Questions de famille

chronique mensuelle que j’anime sur LaVie.fr, mai-juin-juillet 2022

Mon travail empiète sur toute ma vie

11/05/22 – Nicole Prieur, philosophe et thérapeute, spécialisée dans les enjeux relationnels familiaux, répond cette semaine à Bruno, 47 ans, dont la vie professionnelle envahit tout, au détriment du reste.

Je n’arrive pas à couper les ponts avec ma mère

01/06/22 – Nicole Prieur, philosophe et thérapeute, spécialisée dans les enjeux relationnels familiaux, répond cette semaine à Marion, 42 ans, qui s’interroge sur sa relation complexe à sa mère.

L’héritage de notre mère nous divise

06/07/22 – Nicole Prieur, philosophe et thérapeute, spécialisée dans les enjeux relationnels familiaux, répond cette semaine à Françoise, 58 ans, qui s’interroge sur sa relation complexe à sa mère.

La culpabilité fait partie intégrante du rôle de parent

Réalités familiales n°136-137, Concilation vie familiale – vie professionnelle, juin 2022

Nicole Prieur, philosophe et thérapeute familiale, propose une analyse de ce tiraillement vécu par les parents dans leur tentative de concilier leur temps parental avec leurs obligations professionnelles.

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Familles explosives

Madame Figaro, 24-25 juin 2022

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Partir en vacances avec des amis : bonne ou mauvaise idée ?

Le Télégramme, 11 juin 2022

Partir en vacances avec des amis, pour se fabriquer des éclats de rire et des souvenirs, pour le plaisir de se voir plus souvent. Bonne idée ou prise de risque ?

Et si on partageait une location à deux familles cet été ? Barbecue tous les jours pendant que les enfants joueront ensemble ! Pour la bande de copains en fin d’études, ce sera un tour d’Europe sac à dos. Pour les trois sœurs et leurs maris : des bungalows au camping et des tournois de pétanque. Il est tentant de partir en vacances avec une autre famille, un couple, un groupe de copains ou son meilleur ami : cela permet de casser les habitudes, de sortir un peu du tête-à-tête conjugal, ou tout simplement de passer du temps avec des gens que l’on aime bien et qu’on voit trop peu dans l’année. Et puis cela convoque des clichés de vacances idéales, on fantasme de chouettes moments de partage comme au cinéma : ambiance « Camping » (avec Franck Dubosc), douce nostalgie avec « Les petits mouchoirs » (de Guillaume Canet) ou joyeux délires comme dans « Les Bronzés » ?

« Quand nous sommes adulte, l’amitié participe à l’équilibre de l’existence, » rappelle Nicole Prieur, philosophe et psychothérapeute, dans « Les Trahisons nécessaires » (éditions Robert Laffont). « Les moments passés entre amis sont de véritables bouffées d’air dans une vie bien remplie entre famille, couple, travail. » Reste qu’il n’est pas anodin d’élargir les vacances en dehors du premier cercle, celui du conjoint et, le cas échéant, des enfants encore jeunes.

Une amitié mise à l’épreuve

Au-delà des projets de loisirs partagés, randonnées, bronzage ou apéros, cela signifie aussi un partage de temps et d’espace personnel qui peut mettre l’amitié à l’épreuve. Et pas seulement à cause de la corvée de vaisselle…

En effet, vivre à plusieurs, même si ce n’est que pour une semaine, c’est plonger direct dans un accélérateur temporel et émotionnel. Tout va plus vite et plus fort quand on sort des routines du quotidien pour s’enfermer dans la bulle vacancière. C’est ainsi que des voisins de camping passent du statut de parfaits inconnus à super-copains qu’on se promet de revoir (ou pas). Alors les copains ou amis, frangins ou cousins adultes, avancent aussi d’un pas : ils passent du cercle de la décontraction sociale à celui de l’intimité.

Aux frontières de l’intime

Tous les espaces privés sont touchés : l’’intimité personnelle, quand on partage la même salle de bain et pour toutes les culottes, le même fil à linge ; l’intimité du couple, dont les conversations peuvent être entendues, mais aussi l’intimité familiale à travers l’éducation des enfants («Toto, pour la dernière fois, vient manger ! »). Or, tout comme nous avons besoin de maintenir des distances physiques avec autrui (cela s’appelle la proxémie), qui vont de 45 cm à 3,6 mètres selon qu’il s’agit d’amis, de connaissances ou d’inconnus ; nous avons aussi besoin de distances psychiques. De façon imprévisible, la promiscuité peut se révéler oppressante. On peut se sentir envahi. Même une amie très chère peut produire cet effet, ou si ce n’estpas elle, ce sera son mari… Nul besoin de disputes, la seule intersection des bulles personnelles de chacun provoque un sentiment de malaise qui facilite les tensions.

Or, celles-ci surgissent vite quand la cohabitation conduit à une confrontation de valeurs. On pense aussitôt au rapport à l’argent ou à l’éducation des enfants (Toto est vraiment désobéissant), mais il y a aussi les petites manies quotidiennes (Gilbert qui met toujours les pieds sur la table basse).

Des règles qui s’estompent

En société, les règles de la politesse et du savoir-vivre sont faites pour limiter les tensions et les envies de se coller des baffes façon village d’Astérix. Et de fait, elles fonctionnent assez bien avec des simples connaissances ou des copains un peu éloignés. Mais par définition, elles s’estompent avec les « familiers », le frangin, la cousine ou l’ami d’enfance, tous ceux avec qui « on ne va pas faire des manières » et dont on présume l’indulgence puisqu’ils nous connaissent si bien… Ne soyons pas pessimistes, bien souvent ça marche : les joies partagées font oublier les petites agaceries.

Mais pas toujours. De tendue, la relation peut alors devenir conflictuelle. Chacun revendique sa liberté d’être soi et vice -versa. De fait, si on ne peut pas se sentir libre en vacances, alors quand ? « Je ne vais pas supporter sa musique pourrie tous les soirs ! ». « La relation aux amis met à l’épreuve notre patience, notre souplesse et notre tolérance », explique Nicole Prieur.

Jusqu’où peut aller la franchise ?

La franchise est sans conteste la meilleure solution pour lever les tensions. « Mais jusqu’où peut-elle aller ? Jusqu’où est-elle utile, acceptable pour l’autre ? », questionne l’autrice des « Trahisons nécessaires ». « L’amitié nous renvoie à des dilemmes importants. Dire, ne pas dire ? » Pour éviter de vivre ce genre de dilemme, mieux vaut y réfléchir à deux fois. Avant. Et admettre éventuellement que les meilleurs amis ne font pas forcément les meilleurs compagnons de vacances. En revanche, quand ça fonctionne, on se donne vite rendez-vous pour les prochaines vacances. Et c’est comme au cinéma !

Mer ou montagne, ce que les paysages disent de nous

Notre temps, 3 juin 2022

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