Nicole Prieur

Philosophe et thérapeute d’enfants, adolescents et d’adultes, c’est aussi à travers mon expérience de femme, de mère et de grand-mère que je tente de comprendre ce qui se vit entre les individus, leur couple et leur famille.

Ces sphères d’intimité censées apporter du bonheur sont souvent sources de blessures, de souffrances. L’amour ne suffit pas, on peut rendre malheureux ceux qu’on aime le plus.

J’ai toujours eu à cœur d’analyser ces contradictions de manière à instituer plus de respect, plus de justice dans les relations familiales et de permettre à chacun un développement personnel le plus harmonieux possible.

Ayant commencé mes études de Philosophie à la Sorbonne en 1968, pour poursuivre ensuite Psychologie à Nanterre, vous comprendrez que j’aime déconstruire les préjugés, les idées reçues, les stéréotypes qui peuvent enfermer les individus dans la culpabilité et des relations destructrices. C’est ce que soutend l’écriture de mes livres.

Ceci ne m’empêche pas d’être fidèle à certains maîtres à penser : E. Levinas, Merleau-Ponty, P. Ricoeur, pour l’aspect philosophique et F. Roustang pour l’approche clinique.

Imprégnée de divers courants – psychanalytique, systémique, winiccottien -, la rencontre avec l’hypnose m’a permis une plus profonde cohérence dans ma position thérapeutique.

J’accorde aussi de l’importance à la transmission et j’anime avec plaisir des groupes de formation au Ceccof au sein duquel je dirige le comité scientifique des colloques annuels.

Mais rassurez-vous : de la philosophie, je n’ai encore rien compris, de la psychologie, il me reste tout à découvrir !

Mes auteurs de référence

les philosophes et les psychothérapeutes qui ont marqué ma formation et orientent mon travail

Quand Paul Cézanne peint la Sainte Victoire, voici ce qu’il éprouve : « Je respire la virginité du monde. Un sens aigu des couleurs s’empare de moi. Je me sens coloré par tous les tons de l’infini. Dans des moments comme celui-là, je ne fais qu’un avec mon tableau. Nous sommes un chaos iridescent.»

Cela pourrait être une des plus belles définitions de l’hypnose.

Que dit Milton Erickson de l’hypnose ?

« L’hypnose traduit une activation des ressources inconscientes et favorise des intuitions libératrices. Cette activation se produit par un certain état de focalisation sans effort d’attention pendant lequel l’esprit conscient relâche son contrôle. »

Ses fondamentaux

– la vie d’abord
– le but de la thérapie : le changement
– le thérapeute est là pour aider le patient à changer lui-même
– chaque patient est unique : Milton Erickson dit qu’il crée une théorie pour chaque patient
– c’est au thérapeute de s’adapter au patient, pas l’inverse
– c’est le patient qui sait, pas l’inverse : moins le thérapeute intervient dans l’entrée en hypnose, plus la transe est efficace, sans qu’elle ait besoin d’être profonde.

Ses axes thérapeutiques :

– « toujours avoir un but réel dans un futur proche »
– le changement est comme une boule de neige
– Faire confiance à l’inconscient. L’inconscient sait ce que le conscient ne veut pas savoir, et il le sait bien avant.
– Il s’appuie beaucoup sur la notion d’apprentissage. Les apprentissages de base s’enrichissent toute la vie de nouveaux apprentissages. L’hypnose réactive cette potentialité du sujet.

L’hypnose permet ainsi de mobiliser nos ressources insoupçonnées.

« La position thérapeutique, c’est ce autour de quoi s’organise la rencontre ; elle définit l’édification du système de relations entre le thérapeute et le thérapisant. »
« En prenant sa place, le thérapeute construit un espace thérapeutique singulier, où plus il est lui-même, plus il est pour l’autre et par l’autre. »

La rencontre avec la singularité de l’autre

C’est en nous que prend forme la singularité de l’autre. Le thérapeute est celui qui s’émerveille par anticipation devant quelqu’un au bord d’une nouvelle vision du monde, devant une autre manière de vivre.
On exige du patient qu’il soit lui, qu’il le soit totalement, c’est insupportable, donc il résiste. Quand quelqu’un se laisse reconnaître comme unique, il se sent exister. Mais on n’a aucun pouvoir sur cette singularité.

Le point d’ancrage du thérapeute : s’appuyer sur l’existence certaine de son corps vivant. Être présent de corps avec une telle intensité et une telle liberté que le poids de notre présence devienne léger.
Il s’agit d’être là comme un pachyderme et à la fois comme un oiseau.

La disposition

On se prépare à se mettre en contact avec tout le monde du patient. C’est par rapport à cela qu’on se dispose. On se place soi-même de manière confortable. Etre présent à son corps, être là pour tout capter, pour se laisser absorbé tout entier par l’autre. Je mets mes propres images entre parenthèses.

L’impuissance, est un autre nom de la disposition

Reconnaître mon impuissance va permettre au patient de mobiliser sa propre liberté, ses propres ressources. Mon impuissance est le lieu où le patient peut déployer sa propre imagination. Car, c’est le patient qui détient la solution.

Accéder au sentir large

L’appréhension du sentir est réciproque. Par son sentir large, le thérapeute ouvre le patient à son sentir propre ; il le sort de la considération étriquée de son existence. Le thérapeute invite le patient à remettre en mouvement son propre sentir, pour rejoindre le lieu où apparaissent des nouveaux liens, et de nouveaux possibles.

La veille paradoxale du thérapeute est une condition nécessaire

Le thérapeute par sa posture, par ses gestes, sa voix montre qu’il est totalement attentif au patient. Il y est tout entier et en même temps il n’attend rien.

La situation s’est renversée, le thérapeute est hypnotisé par son patient- il s’est retiré à l’extrême de ses intentions propres, il s’est placé lui-même en état de veille généralisée ;
C’est parce qu’il précède son patient sur ce terrain, qu’il pourra l’y entraîner.

S’il est indispensable que le thérapeute fasse avant son patient le saut dans la concentration, c’est que cette dernière ne peut exister sans relation. Elle en est l’essence même.

La sensorialité – le corps

Il est important pour F. Roustang de revenir à l’unité corps-psyché.
La psyché séparée de la sensorialité ne peut pas se guérir ; la guérison passe par la sensorialité, par son rétablissement, son élargissement. Il cite Aristote « la psyché c’est ce qui anime le corps »

La transe permet l’arrêt des pensées. Il cite Wittgenstein : « ne pensez plus, regardez » Quand on arrête le train des pensées, on entre dans notre sensorialité, on est dans l’intelligence du sentir.
Le retour au sentir permet la guérison parce que si nous allons mal, c’est que nous ne sentons pas ce que nous sentons, nous ne voyons pas ce que nous voyons.

« Chaque fois qu’il arrive avec la plus grande exactitude de penser ce que l’on pense, de sentir ce que l’on ressent, d’éprouver ce que l’on éprouve, on entre dans la vie du monde et on participe à sa puissance. Cette adéquation élémentaire pourrait bien être une excellente définition de l’état hypnotique ou une définition parfaite de la liberté humaine ».

Bibliographie

Roustang F. Qu’est-ce que l’hypnose ? (Les éditions de minuit, 1994).
Roustang F. La fin de la plainte (Odile Jacob, 2000).
Roustang F. Il suffit d’un geste (Odile Jacob, 2003).

Nous aspirons tous à la reconnaissance, mais ce mot de reconnaissance est galvaudé, il a perdu un peu de son épaisseur, à force d’être utilisé à tort et à travers. La reconnaissance ne s’institue pas d’un coup de baguette magique mais répond à un véritable processus. Ce processus se fait progressivement.

D’abord, on a besoin d’ « être reconnu », on est alors dans une certaine position passive, dépendante (niveau 1 de la reconnaissance). J’ai besoin que l’autre atteste qui je suis. Puis, il s’agit de « reconnaître l’autre », ce qui se réalise dans un mouvement actif vers l’autre (niveau 2). Je dis à l’autre comment je le vois. Cela permettra la reconnaissance réciproque : « se reconnaître mutuellement » qui est de l’ordre de l’altérité (niveau 3). On échange des regards réciproques, ce qui participe à l’ajustement de nos images de soi respectives. Bien sur, tous les niveaux tissent le « se reconnaître soi-même » (niveau 4). La boucle est bouclée de la manière suivante : Plus on se sent reconnu, plus on est reconnaissant. « Etre reconnaissant » étant le niveau 5 de ce parcours essentiel de la reconnaissance.

La question de l’identité est au centre de la question de la reconnaissance

« N’est ce pas dans mon identité authentique que je demande à être reconnu ? Et si par bonheur, il m’arrive de l’être, ma gratitude va vers ceux qui, d’une manière ou d’une autre ont reconnu mon identité en me reconnaissant »
« Pour identifier, il faut distinguer, c’est en distinguant qu’on identifie …. C’est à être distinguée qu’aspire une personne humiliée. » c’est-à-dire être reconnue dans sa singularité la plus irréductible.

Reconnaissance et changement

Comment se reconnaître à travers nos changements. P. Ricœur fait appel à deux concepts : la mêmeté, et l’ipséité.
Mêmeté. Ce qui reste identique sous les changements ; je reconnais ce qui persiste à travers les changements. Je garde mes yeux bleus, même si j’ai des rides et que je pleure ou souris…
Ipséité. Je ramène à moi, les divers changements. Même si mes cheveux sont passés de brun au blanc, puis à la couleur, je les reconnais comme les miens.
Je ne connaissais pas mes cheveux blancs, mais je les reconnais comme miens.
Reconnaître, ce n’est pas forcément connaître- du fait de la fluidité de l’être, Reconnaître , c’est ne pas enfermer l’autre dans une connaissance.
La reconnaissance se fait à l’épreuve de la méconnaissance.

Identité narrative

Importance du récit, l’identité est toujours une identité narrative qui met en perspective la mêmeté et l’ipséité. Qui parle, qui agit, qui raconte ? .
« Apprendre à se raconter, c’est apprendre à se raconter autrement. »

Ethique et responsabilité

C’est par la dimension éthique que l’identité se structure, que l’ipséité s’ordonne.
En me reconnaissant comme auteur, acteur de mes actes, de mes paroles, de mes gestes, et intentions. Je suis comptable de mes actes… peut-être même aussi de mes intentions.

« Le pardon, fait de la mémoire inquiète une mémoire apaisée, une mémoire heureuse.»

La reconnaissance mutuelle

L’un/l’autre ; l’un par /pour l’autre, ce n’est pas l’un EST l’autre. La réciprocité ne va pas de soi, mais elle est féconde. Car il y a une véritable simultanéité de la reconnaissance existentielle : quand on reconnaît autrui comme existant, vivant, on se sent soi-même exister, vivre.

Bibliographie :

Paul Ricoeur, Parcours de la reconnaissance (Stock, Les essais, 2004)
Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre (Seuil, 1990)