les publications que j’ai écrites ou cosignées, à l’attention des professionnels

L’argent dans les familles, quels enjeux relationnels à travers les différents cycles de la vie ?

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REALITES FAMILIALES

Se réinventer grâce à l’hypnose

Une nécessité pour notre XXIème siècle

article paru dans la revue Hypnose & thérapies brèves #44 (février-mars-avril 2017)

Hypnose et processus thérapeutique

in La lettre du Psychiatre, décembre 2013

L’hypnose, en tant qu’état modifié de conscience, permet de réactiver la sensorialité, mobilise l’“intelligence” du corps, lieu des premières expériences et des premiers savoirs des nourrissons. De ce fait, elle remet en mouvement le pouvoir de chaque sujet de configurer son monde, ce qui va introduire des changements non seulement au niveau des représentations, mais aussi des manières d’être. Les ressources créatives sont sollicitées au cours de la transe, d’autant mieux lorsque le clinicien accepte avec humilité que c’est le patient qui détient la solution de ses problèmes et la capacité d’aller mieux.

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Confiance et responsabilité, de l’éthique à l’esthétique

Mon intervention au colloque 2012 du Ceccof

« Développez votre étrangeté légitime » disait René Char. Et si le poète avait raison ? Faut-il lui faire confiance ? Inventer notre étrange singularité, est-ce cela la grande responsabilité qui nous engage vis-à-vis des autres autant que de nous-mêmes et du monde ? A travers une brève histoire de la philosophie nous interrogerons ces deux concepts et nous nous demanderons comment les mettre à l’œuvre dans notre pratique professionnelle.

Retrouver le sens philosophique de ces deux concepts

En entendant la juxtaposition de ces deux concepts, il y a de quoi se sentir écrasé par un certain poids moral. Et cela peut surprendre de la part du Ceccof, ce n’est en général pas notre ligne épistémologique que d’évoquer la morale, nous avons plutôt tendance à nous en méfier. L’année dernière, très clairement, avec notre travail sur les mauvais sentiments nous avions dénoncé ce que P. Nora appelle le déchaînement « vertuisme » contemporain. Nous avons démontré le côté pervers de la valorisation à outrance de la bienpensance, de la morale. En effet, il y a une réelle contradiction entre, d’un côté, le triomphe d’une vision moraliste du monde et, de l’autre, la banalisation du mal. Alors cette année avons-nous eu des remords, voulons-nous nous racheter une conscience morale toute neuve ?

En fait, il faut éviter le risque de contre-sens : il y a une différence importante entre le sens commun et le sens philosophique de ces deux notions. En partant à la découverte de leur sens philosophique, nous allons y trouver à la fois bien plus de souplesse et de légèreté que la doxa voudrait y mettre, mais aussi une cohérence intéressante dans la mise en perspective de ces deux notions – confiance et responsabilité.

Je vous propose donc de cheminer à travers le champ philosophique. Une promenade rapide et tout à fait rafraîchissante dans l’histoire de la philosophie ne nous fera pas de mal en ce vendredi matin et nous permettra de faire éclater le sens premier que la doxa impose.

Le sens commun en effet accorde une dimension morale très forte à la responsabilité et à la confiance. Or les philosophes surtout modernes, sont un peu plus cool. Ils vont nous emmener de l’éthique à l’esthétique, en passant par la poésie.

Évidemment, au bout du compte, vous ne saurez plus du tout ce qu’est la confiance ni la responsabilité. Et c’est ainsi que tout ira bien. Un rabbin conseillait « ne demande pas ton chemin à quelqu’un qui le connaît, sinon tu ne pourras pas t’égarer » donc si, chemin faisant, vous vous sentez un peu perdus, c’est que vous êtes vraiment en train de devenir de véritables philosophes.

La responsabilité, de la prudence à la liberté

Pour le sens commun être responsable cela renvoie à la notion de devoirs liés à une position, à une fonction donnée, on l’exerce de manière responsable, nous dit-on, si on respecte nos engagements, et que l’on répond correctement à ce qu’on attend de nous. Pour la doxa donc, la responsabilité est un devoir faire, alors que pour la philosophie ce sera d’avantage un « être capable d’être », ou plus exactement « devenir capable d’être ».

En droit aussi la responsabilité est importante. On interroge la notion d’intention. Le préjudice, le crime, a-t-il été fait avec préméditation ou non. Le coupable était-il conscient, en pleine possession de ses moyens quand il a agi ou non ? A-t-il agi par ignorance, par erreur, négligence, imprudence ? Quelle est sa part de responsabilité, c’est à dire son implication ? Et par rapport à son degré de responsabilité, quelle sera sa sanction ? Elle ne sera pas de même teneur s’il n’a fait qu’assister, sans porter secours, ou si il a été actif, instigateur. On sait à quel point ces débats sont difficiles à trancher.

Le questionnement philosophique est encore plus troublant, on pourrait le résumer comme tel : Comment répondre des conséquences imprévisibles, de mes actes mais aussi de mes omissions, conséquences qui vont souvent bien au-delà de mes intentions. Jusqu’où suis-je engagé envers autrui, et de quoi suis-je vraiment responsable ?

La responsabilité pourrait à première vue donner une impression de vertige, car je serai responsable au-delà même de mes intentions, et responsable à la fois de ce que je fais, mais de ce que je ne fais pas, de ce que je ne dis pas. Il y aurait comme une démesure de la responsabilité. Mais cette démesure une fois posée, c’est justement ce puits sans fond que l’histoire de la philosophie va discuter, cherchant à introduire une mesure à ce qui se présente comme incommensurable.

En philosophie, la responsabilité fait débat finalement depuis assez peu de temps. C’est un concept relativement récent dans l’histoire de la philosophie, comme si pour les anciens, il allait de soi qu’on devait se montrer responsable c’est à dire raisonnable, faisant appel à notre raison, plutôt qu’à nos passions, affects.

Notre cher Aristote a posé les bases de cette mesure nécessaire, et cela n’a pas été beaucoup requestionné jusqu’aux philosophes modernes.

Aristote en appelle à la Prudence. En tout bien, tout honneur, il commence par confirmer l’idée que la rigueur est de règle dans l’analyse de la responsabilité. Le « je ne savais pas », « je n’aurais pas imaginé » a beau être de bonne foi, il est signe de « mauvaises habitudes », de mauvais penchants. Mon inconséquence signe un relâchement moral inacceptable et condamnable. Toute conduite vertueuse doit se faire sous l’égide de la réflexion, et de la raison qui doivent me permettre d’anticiper au maximum les conséquences possibles.

Donc oui, on est responsable au-delà de nos intentions, mais Aristote est un homme raisonnable qui s’applique à lui-même ce qu’il enseigne. Il modère cette rigueur en expliquant que finalement le but de la philosophie, c’est le bonheur personnel et collectif dans la cité, et il évoque la morale pratique que l’on nommerait aujourd’hui éthique, le comment mettre réellement en œuvre, en acte, les beaux principes moraux. Il fait appel alors à la prudence, ne nous engageons que dans ce que nous nous estimons capables de faire. Limitons de manière réaliste nos exigences vis à vis de nous-mêmes. En un mot, prenons en compte nos limites, notre impuissance, notre vulnérabilité.

Pour Aristote, la Prudence est une vertu cardinale, c’est à dire qu’elle fait partie des 4 vertus piliers avec la justice, la tempérance, le courage. La prudence, c’est véritablement la vertu de l’intelligence pratique. Un des éléments central de la prudence c’est la délibération, le discernement qui permet d’évaluer si ma conduite est la plus adaptée. « L’acte vertueux consiste à faire ce que l’on doit, pour quoi on le doit, comme on le doit. » Ainsi, en étant prudent dans ses engagements, on est encore plus vertueux.

Ouf, si Aristote nous dit qu’il faut éviter de nous mettre à nous-mêmes la pression, c’est plutôt encourageant.

Sautons à pieds joints dans la philosophie moderne. Ce qui est intéressant avec les philosophes modernes, c’est la polysémie de sens qu’ils font émerger à partir de ce concept.

Paul Ricœur nous invite à faire les comptes. C’est donc un philosophe que j’aime bien, car il reconnaît l’importance des comptes dans les rapports humains.

Ricœur parle davantage d’imputabilité. A qui peuvent être imputés et mes actes et mes omissions ? L’imputabilité renvoie à un sujet comptable de ses actes, au point de se les imputer à soi-même, il accepte les conséquences de ses actes car c’est un sujet engagé dans le processus de reconnaissance, il se reconnaît comme acteur de ses gestes, auteur de ses paroles. Le parcours de la reconnaissance, c’est le parcours de sa responsabilité.

Qui parle ? Qui agit ? Qui raconte ? Le « Je » va se construire en tant qu’il est capable de se reconnaître comme acteur de ses gestes, auteur de ses paroles. En répondant « me voici », en répondant de sa présence au monde, on renforce son être.

Pour lui, l’essentiel est de convertir l’homme coupable en homme capable. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le but, en philosophie, n’est pas de chercher la culpabilité de tel ou tel homme, mais de l’amener à devenir capable de répondre de soi devant les autres, et aussi rendre au « Je » la capacité de vouloir vivre, et de vouloir bien vivre.

L’étymologie du mot va nous permettre de faire le lien entre Ricoeur, et Levinas : responsable – adjectif – est apparu en français vers le 13e siècle, vient de respondere ; il signifie répondre De, il prend rapidement le sens de « qui doit rendre compte de ses actes ». Ce n’est qu’au 20e siècle que le substantif apparaît, « le responsable » au sens de porter la responsabilité de ses actes.

Emmanuel Levinas, les conditions de la rencontre éthique

Si pour Ricœur, un sujet doit répondre de lui-même, pour Levinas, il s’agit plutôt de répondre à. Et de répondre à ce qui ne se donne même pas à entendre, à ce qui est au-delà de toute parole – l’infinie responsabilité qui me lie à autrui. Car pour Levinas, la responsabilité nous engage envers autrui bien au-delà de ce que l’on peut décider, choisir : « l’éthique serait cette dette que je n’ai jamais contractée » « c’est malgré moi qu’Autrui me concerne ». L’altérité s’éprouverait alors dans un vertige, le vertige de l’immense responsabilité que j’ai vis à vis de l’autre. « Autrui est un centre d’obligations pour moi », disait-il.

C’est un peu effrayant, et c’est souvent cette altérité démesurée que l’on retient de Levinas. Se pourrait-il qu’il transgresse la règle aristotélicienne de prudence ? Rassurons-nous, non.

A y regarder de plus près, pour lui le plus important, c’est la rencontre éthique, rencontre qui se fonde dans le face à face de deux visages qui s’affirment dans leur singularité.

Le visage, c’est ce qui ne se laisse pas enfermer dans les visages que son histoire, ses contextes lui donnent, lui ont donné. Elle se produit quand j’accepte de découvrir l’autre au-delà de ce que je crois connaître de lui.

Le visage s’impose alors dans son altérité irréductible.

Mais, nous dit Levinas, cette rencontre n’est pas seulement révélatrice d’autrui, elle me fonde moi aussi dans ma singularité, elle est faite aussi pour me faire du bien. Quand je parviens à considérer autrui comme échappant à mon pouvoir, à mon soi-disant savoir ou connaissance, je le considère comme une liberté extérieure à la mienne, et par là même, cette considération marque ma présence singulière au monde. « Quand le moi tient compte de ce qui n’est pas lui, et en même temps ne s’y dissout pas, dans ce rapport à la fois de participation et de séparation, alors il y a rencontre. La condition de la pensée, c’est la rencontre morale ». « Reconnaître autrui, c’est croire en lui » mais cette reconnaissance n’est pas soumission : « le visage qui me regarde, m’affirme »

Ainsi quand je parviens à être pour l’autre, avec l’autre, je suis aussi avec moi, pour moi, encore davantage.

Comment rendre possible cette rencontre ? Trois pistes à retenir :

la rupture de l’indifférence, c’est quand je me sens concerné par autrui, par sa singularité que je deviens responsable, non pas de lui, mais des conditions d’émergence de cette singularité. Finalement, il serait plus exact de parler de rupture de l’indifférenciation.

– pour préserver cette extériorité réciproque, cette liberté réciproque, il est indispensable de faire appel à la non substitution des individus. « Chaque moi n’est pas interchangeable. Ce que je fais, personne d’autre ne peut le faire à ma place. Le nœud de la singularité, c’est la responsabilité. » On est responsable de se reconnaître mutuellement comme des êtres uniques non substituables.

– La rencontre passe par la capacité de regarder le monde avec les yeux d’autrui. « Le partage du monde s’effectue à partir du moment où on le regarde avec les yeux de l’autre. »

Michel Foucault nous invite à être des artistes et des artisans, soyons les sculpteurs de notre propre existence.

L’homme chez Foucault se perçoit d’emblée comme un être dépendant, il est lié à des systèmes de pensée, inscrit dans certains ordres de discours, assujetti à des dispositifs de pouvoir. Différent de Sartre pour qui l’homme se découvre dans l’angoisse, comme liberté. Cette dépendance est ontologique, et non liée à une situation sociale donnée. L’homme reçoit son identité des jeux de savoirs qui s’imposent comme des vérités et de pouvoir qui organisent la société. Il en hérite. Quand il ne les questionne pas, il les reproduit. Foucault note le danger de tout ce qui se répète. La dépendance de l’homme n’est pas un destin, et c’est le rôle du philosophe que de troubler les évidences et de se déprendre des idéologies. Si l’histoire nous fait, on peut la faire à notre tour.

Cette dépendance appelle une exigence, celle d’un affranchissement. Il reprend une jolie phrase de René Char : « Développez votre étrangeté légitime. »

Pour Foucault, l’homme est en charge de sa propre existence. Il doit la produire comme un art de l’existence, à travers laquelle il manifeste ses valeurs qui sont en même temps des valeurs pour les autres.

Pour lui, l’homme est a-venir, il a à s’inventer. Il n’a pas à se libérer d’un refoulé, mais plutôt des identités qui lui sont conférées, il doit se produire lui-même.

Et pour cela il doit travailler sur lui-même, et s’appliquer des techniques, mais au sens premier du terme :

Technos : ce qui concerne un art- techné : art manuel.

Pour devenir le propre sculpteur de lui-même et de son existence, au même titre qu’un sculpteur travaillant à sa création.

« Faire de sa vie une œuvre qui porte certaines valeurs esthétiques. Il a appelé cela « les arts de l’existence ».

Mais en définissant ainsi la responsabilité, comme devant nous libérer des pouvoirs, des savoirs sclérosant pour nous placer selon des valeurs personnelles, il la rend synonyme de auto-nomie (auto : soi-même / nomos : loi). L’autonomie, c’est le fait d’obéir à une loi qu’on s’est donnée à soi-même, par opposition à l’obéissance aveugle à des lois externes. L’autonomie est un long processus qui se construit tout au long de sa vie et qui répond à la question : A quoi je décide d’obéir ?

 

Nous arrivons donc aux termes de cette balade dans les terres de la responsabilité sur un paradoxe que nous pourrions énoncer ainsi : iI n’y a pas de responsabilité sans liberté, et assumer ses responsabilités rend libre et autonome.  

La confiance à l’origine de l’identité ?

Qu’en est-il de la confiance, et qu’a-t-elle à voir avec la responsabilité ? On pourrait énoncer la question philosophique à propos de la confiance de la manière suivante : La confiance est-elle vraiment utile ? A qui la confiance profite-t-elle ?

En cheminant, nous comprendrons peut-être en quoi la confiance peut être à l’origine de l’identité.

Je vous propose de faire dialoguer devant vous trois philosophes.

 

Kant, ou de l’utilité de la confiance

Pour Kant, pas de doute, la question de la confiance est fondamentale. « Dans un monde où la confiance n’existe pas, les devoirs de loyauté tombent en désuétude. » (Mét. des mœurs). Tout s’écroule, le lien social, les institutions politiques, les liens entre individus quand il ne peut y avoir de confiance. Pour que le lien social soit possible, nous devons chacun d’entre nous efforcer d’être dignes de confiance, mais pas seulement.

Pour Kant, la confiance s’élabore dans la force morale et impérative de la parole donnée. « Je m’engage à tenir parole» suppose que « tu t’engages à ton tour ». Tous les impératifs catégoriques de Kant pourraient être interprétés comme l’injonction de se montrer digne de confiance. Mais l’impératif le plus catégorique rejoint la prudence : ne pas faire de fausses promesses, bien mesurer ce sur quoi on peut s’engager ou non.

La confiance comme la responsabilité impliquent donc la prudence, mais aussi la réciprocité. Cette réciprocité est fondamentale, elle suppose un engagement respectif. La confiance engage et lie les deux partenaires, celui qui est dépositaire de la confiance mais aussi celui qui se fie à l’autre. La responsabilité se trouve être partagée, elle se trouve être engagée des deux côtés. De quelle manière ?

Évidemment celui qui est dépositaire de la confiance est responsable devant les autres et de lui-même de ne pas la trahir, de répondre aux attentes, mais la construction de la confiance tient encore davantage à l’esprit responsable de celui qui accorde sa confiance. Celui qui accorde sa confiance doit assumer son choix, et ne s’en prendre qu’à lui-même s’il s’est trompé, s’il s’est laissé berné. Il doit assumer la responsabilité de son choix, en répondant de lui-même et de son discernement.

Autant il faut être digne de la confiance de l’autre, autant il n’est pas obligatoire d’accorder sa confiance, nous dit-il. Prudence, prudence ! Rien ne nous oblige à faire confiance à, de manière inconsidérée. Il y a comme une asymétrie dans l’engagement, si quelqu’un m’accorde sa confiance, je ne peux pas le décevoir, mais à mon tour, je dois regarder de très prés avant d’accorder ma confiance.

En fait, il s’agit davantage de défiance, de méfiance que de prudence, on est un peu au-delà de la simple prudence.

On pourrait dire de manière paradoxale, la confiance ne s’institue qu’à partir d’une défiance nécessaire. Méfions nous les uns les autres, serait le précepte premier de toute « prise de confiance ». Avant d’accorder notre confiance à quelqu’un, mesurons sa capacité à répondre de, et à répondre à.

Hume, soyons réalistes

Car oui, accorder sa confiance à quelqu’un lui donne un certain pouvoir sur nous. Faire confiance, c’est s’en remettre à l’autre, et cela nous place dans un premier temps, dans un état de vulnérabilité, je ne sais pas si l’autre est fiable, s’il honorera la confiance que je lui fais. Est-il digne de confiance, est-il capable d’assumer cette responsabilité qui l’engage vis à vis de moi. La confiance est un exercice périlleux, c’est un pari qui nous situe entre le savoir et le non-savoir ; je suppose que je peux faire confiance, mais rien n’est sûr. La confiance en l’autre suppose une certaine forme d’abandon de pouvoir, de contrôle temporaire, pendant un laps temps où, précisément, j’ignore quelle valeur a pour l’autre la confiance que je lui accorde, et cela se rejoue à chaque instant.

La confiance est un crédit fait aux autres, on suppose qu’il a « tout intérêt » à ne pas trahir, elle est le fruit d’une longue série d’interactions répétées. Évidemment, longue à installer, elle peut s’évanouir en un seul geste !

Hume se demande pour quelle raison on aspire à respecter la confiance qui nous est faite ? Est-ce pas pur altruisme ? Il est trop réaliste pour y croire. Pour Hume, si je tiens mes promesses, si je demeure fiable, ce n’est pas par respect de l’autre mais avant tout pour sauver sa réputation, en un mot par intérêt personnel. Honorer la confiance est bien sur une obligation morale, mais elle est toujours accompagnée d’une obligation intéressée.

Il est donc raisonnable de se fier à quelqu’un qui se soucie de sa réputation, qui a à cœur de rester honorable.

Méfions-nous de tout angélisme.

Ricœur, ou le temps des promesses

Pour Paul Ricœur la confiance se fonde sur la capacité à tenir ses promesses.

Il explore la promesse sur le plan ontologique. Que se passe-t-il pour mon être, pour moi-même quand je suis engagé par une promesse ? Dans la promesse j’engage qui je suis. Il y va ni plus ni moins de mon être propre.

La promesse m’engage ontologiquement, c’est dans un au-delà de ce que je suis aujourd’hui que je m’engage à tenir parole. J’anticipe mon être de demain, cela me projette dans un A-venir de moi-même encore inconnu.

Dans le processus de la promesse s’opèrent deux mouvements. Je m’engage maintenant pour une promesse que je tiendrai tout à l’heure. Mais en même temps, autrui s’attend à ce que je reste fidèle à cette promesse pour tout à l’heure. Pour accomplir la promesse, il faut à la fois que je reste moi-même mais que je devienne autre par le fait même de faire quelque chose de nouveau pour moi. Je me maintiens dans qui je suis de telle manière que l’autre peut compter sur moi.

Je maintiens qui je suis, tout en devenant un autre, l’autre que je serai demain. La promesse permet ce formidable tour de passe-passe de l’être, rester soi même à travers le temps. La promesse permet d’articuler ipséité et mêmeté. (Mêmeté : je demeure le même, malgré les temps qui changent, et ipséité, je ramène à moi, ce qui change en moi, je me reconnais moi malgré les changements que je subis).

Dans cette promesse tenue, le soi atteste de sa permanence et de sa fluidité, sa capacité de changer.  

Par conséquent, la promesse renforce la confiance en soi : elle renvoie à l’assurance confiante d’être soi. Le soi se reconnaît, il se sent être, il se perçoit comme vivant, dans cette permanence à travers les changements.

Ainsi, là aussi, faire des promesses et les tenir, c’est tout bénéfice pour le Soi, le je.

Cela tient aussi au fait que confiance et responsabilité sont des postures qui sont proches du don. Comme lui, ce sont des attitudes d’ouverture vers autrui, mais qui en même temps nourrissent, enrichissent celui qui donne, donne sa confiance, ou donne sa parole. Il y a un retour immédiat sur soi-même, un bénéfice rassurant, structurant, narcissisant sur soi-même.

Cela nous permet de conclure sur une note optimiste.

 

Conclusion : confiance et responsabilité sont les vertus de l’optimisme

On pourrait ainsi en effet conclure que confiance et responsabilité sont les vertus de l’optimisme, un optimisme évidemment tout sauf niais et béat, mais calculé de manière prudente.

La confiance en effet, est un pari sur l’avenir, elle est sous-tendue par l’espoir que le bien l’emporte sur la crainte du mal possible.

La responsabilité est une projection dans le futur. Être responsable, c’est croire en soi, en sa capacité d’assurer, c’est s’engager pour que le futur soit meilleur.

Entre ces deux processus on voit bien se dégager une synergie positive et créatrice. Se fier à c’est croire en l’autre, c’est espérer en son humanité, c’est lui permettre d’accéder à sa dignité. Dans des jeux de miroir où chacun s’affirme dans la réciprocité de l’altérité.

Confiance et responsabilité créent donc la vertu de l’espérance, de l’espoir du mieux vivre. Ce sont des vertus optimistes, c’est en ce sens qu’on en a le plus besoin.

« Mes deux mamans dorment ensemble »

La question des origines dans les nouvelles formes de parenté et de filiation. Perspectives et risques.

Intervention au colloque de l’Association Socio-éducative des Yvelines (ASSOEDY), mai 2011.

> Lire l’intégralité du colloque en PDF

Nous sommes tous confrontés dans nos pratiques respectives à des nouvelles situations familiales, aussi diverses qu’étonnantes, certaines étant déstabilisantes. Et ce n’est pas étonnant.

Je rejoins entièrement l’analyse des anthropologues, notamment M. Godelier qui a évoqué les métamorphoses de la parenté et qui parle d’une véritable révolution anthropologique.

Nous sommes bel et bien cœur d’une révolution anthropologique.

L’enfant n’est plus nécessairement issu de la sexualité de ses parents. Ce qui est tout à fait inédit dans l’histoire de l’humanité.

Le socle sexuel n’est plus l’unique lieu originel. Une mère n’est plus forcément celle qui porte l’enfant, le géniteur n’est pas le père  qui élève l’enfant, on n’a plus besoin d’être deux pour faire, adopter ou élever un enfant, le couple parental n’est plus seulement constitué d’un homme et d’une femme. Et nous sommes donc renvoyés à des questions fondamentales, essentielles, c’est à dire qui interroge l’essence même de la parenté, et de la filiation.

Qui est mère ? Qui est père ? L’homme ou la femme qui a donné son sperme ou son ovocyte, la femme qui porte l’enfant, l’homme qui a sollicité la mère porteuse, celle ou celui qui l’élève, qui donne son nom, qui a abandonné, qui a adopté ? Il y a comme une abondance, une prolifération de mères et de pères, de figures symboliques, d’acteurs nécessaires à l’engendrement, autour de certains enfants, alors que d’autres restent dans des schémas encore traditionnels. Désormais, la réalité biologique, aussi irréductible soit-elle, ne saurait contenir la « vérité » d’un sujet. Un être déborde, dépasse toujours cette donnée première.

Il y a aussi des temps dissociés, le temps de la sexualité, le temps de la fécondation, le temps de la gestation, le temps de l’éducation….

Cette révolution anthropologique, selon M. Gauchet(1) «  se caractérise au final par une société qui dissocie ce qui relève de la sexualité (libre), de la famille (un vouloir vivre ensemble, dans la durée ou non, de deux êtres quel que soit leur sexe), de l’engendrement (un désir d’enfant privé) et de filiation (non indexée sur la vérité biologique). Ces différentes fonctions, autrefois rassemblées dans l’unité de la famille sont aujourd’hui dispersées dans des espaces qui se veulent distincts. La crise de la famille ne tient ni à l’augmentation des divorces, ni à la revendication de mariages homosexuels, mais plutôt à l’éclatement et à la dispersion des fonctions que, traditionnellement, elle réunissait »

Il y a comme une perte de l’unité de temps, et d’action.

Dans un tel contexte, il est évident que nos concepts de base, nos référents traditionnels, ne sont plus opérants, ni suffisants, il importe de se créer son corpus conceptuels, des nouveaux outils.

Pour ma part, la référence aux origines m’a semblé judicieuse et structurante, et m’a été très utile dans un certain nombre de situations « décoiffantes ». A partir du moment où on dépoussière ce concept, où on le déconstruit, il peut être précieux.

 

C’est dans un tel contexte, que la demande homoparentale est apparue. C’est là aussi une toute nouvelle donnée de l’histoire de l’humanité, et sans aucun doute, ce sont les progrès scientifiques et médicaux qui ont permis de faire émerger cette demande, possible désormais sur le plan «  technique », strictement médical, mais qui bien entendu soulève des questions symboliques, juridiques fondamentales.

La situation homoparentale rend, seulement, mais ce seulement ce n’est pas rien, plus explicite ces changements radicaux de paradigmes. En outre elle les cumule. Un enfant élevé dans une famille homoparentale additionne les difficultés des PMA par exemple et l’orientation sexuelle de son parent, mais cela est loin d’être insurmontable.

Reste à savoir si la société est prête à accepter des familles qui la forcent en quelque sorte à remettre en cause les fondements traditionnels de la parenté, mais aussi de l’identité sexuelle, et de la différence sexuelle, car aujourd’hui de la même manière qu’il faut se demander ce qu’est in fine une mère, un père, les standards genrés étant remis en cause on ne sait plus ce qu’est un homme, une femme. En fait, le sexe ne crée plus le genre..

Une petite vignette clinique nous permettra de mettre en évidence quelques unes des questions qui se posent dans le cadre des familles homoparentales.

 

I- Mes deux mamans dorment ensemble.*

J’ai récemment reçu une petite fille, Nina 7 ans avec sa maman, une femme d’une petite quarantaine, vive, qui consultait pour savoir si tout allait bien pour Nina.

Pourquoi donc cette maman, qui n’a pas l’air particulièrement anxieuse a-t-elle besoin d’amener chez une psy sa petite fille, belle à ravir, pétillante, apparemment bien dans sa peau ?

En posant les questions classiques sur l’histoire familiale, je commence à comprendre. La maman m’explique qu’elle a adopté Nina, en tant que célibataire. Elle-même n’a plus de contacts avec ses parents, mais Nina a néanmoins des grands- parents « de cœur », chez qui elle passe des vacances. N’ayant ni oncle ni tante « de sang », Nina a cependant des parrains, qui s’occupent d’elle régulièrement. « Ils assurent une présence masculine » ajoute la maman, comme pour se justifier.

« Et puis Nina a une petite sœur de 5 ans, poursuit-elle. Oui mais sa maman ce n’est pas moi, c’est sa tata.

-Ah bon ?

– la tata de Nina a aussi adopté une enfant du même pays que Nina.

-mais cette tata, c’est…

-oui, c’est la tata de Nina

-oui, mais c’est votre amie ?

-…

– cette amie, vous vivez avec elle ?

-oui. » Répond enfin la maman soulagée de pouvoir dire ce qu’elle a encore du mal à révéler. « Nous ne sommes pas pacsées, mais on y pense surtout pour les enfants.

– que dites vous à Nina ?

– c’est le problème. Pour l’instant, on n’a rien nommé vraiment. Les fillettes nous voient vivre ensemble, mais on ne sait pas ce qu’elles pensent, ni comment elles le ressentent.

Pendant tout cet échange Nina ne dit rien. C’est une fois seule avec moi qu’elle dessine son merveilleux animal.

Au fur et à mesure que Nina dessine, un animal unique au monde prend forme.

Un animal imaginaire : corps de cheval, oreilles de chien, trompe d’éléphant, pattes de gazelle, sabots de cochon, queue en plumes d’oiseau, petites cornes de Bambi…

Bien établie sur le sol, cette créature étrange au sourire heureux est entourée d’autres animaux plus « classiques » dirons nous. Elle semble trôner au milieu d’eux. La clairière dans laquelle tout ce petit monde s’égaie est lumineuse. Des fleurs multicolores tapissent le sol et ornent les arbres. Le soleil brille.

Hybride, ou plutôt mixte et pluriel, cet animal associe, sans confusion, les diverses qualités des différentes bêtes qui le composent. Nina, me raconte en effet qu’il est intelligent comme un cheval, vif et futé comme un chien aux aguets, habile comme une trompe d’éléphant, rapide comme une gazelle, familier comme un cochon, léger et libre comme un oiseau, capable de se défendre comme un jeune cerf majestueux.

Cet animal, somme toute très élégant, dégage une véritable harmonie. Une unité indéniable permet à tous ces morceaux hétéroclites de tenir ensemble et laisse paraître une assise et un équilibre évidents.

Nina vient de représenter, en y prenant un grand plaisir, l’image inconsciente qu’elle a d’elle-même.

Nina est donc élevée par un couple de lesbiennes, chaque maman ayant adopté une fillette. Les deux enfants sont élevées comme des sœurs, et se reconnaissent comme telles. La mère de Nina est plus ou moins en rupture avec sa propre famille d’origine qui n’a jamais accepté son homosexualité. Mais elle a fait en sorte que Nina ait un papy et une mamy « de cœur ». Un couple de gays fait office de parrains.

Cette famille en « kit », dans laquelle les liens de sang n’ont pas grand-chose à voir avec les relations d’affections, ni avec les fonctions symboliques que chacun exerce, semble apporter à Nina ce dont elle a besoin. Les liens s’organisent autour des désirs de chacun, de choix électifs apparemment constants et solides dans le temps.

Et tout cela semble convenir à Nina! La suite du travail confirmera qu’elle a une bonne et solide image d’elle-même, qu’elle se repère très bien dans cette famille reconstituée.

Loin de moi l’idée d’en conclure que les enfants de parents homosexuels sont tous aussi épanouis que cette fillette. Je n’ai qu’un regard clinique et ne prétend pas avoir une approche sociologique et représentative. Mon objectif est d’interroger, de manière dédramatisée, une réalité qui me semble soulever des questions essentielles qu’un débat passionnel ne permet pas toujours d’aborder. L’homoparentalité n’est pas contagieuse, elle ne s’attrape pas, elle ne contamine pas.

Les différentes études effectuées à ce jour constatent que les enfants élevés dans des homo familles ne vont ni plus mal ni mieux que les autres. Cela confirme un constat évident : aucune structure familiale quelle qu’elle soit ne constitue une garantie pour le développement de l’enfant. Un enfant peut être détruit aussi bien dans une famille traditionnelle, recomposée, monoparentale, homoparentale.

Ce qui prime, c’est la qualité du lien entre un enfant et un parent, le respect mutuel. Un parent n’est parent que quand il se comporte comme tel, quelque soit le mode de filiation. Et un enfant reste un enfant qu’il soit élevé par une femme seule, un couple hétéro, homo, auprès de la nouvelle femme de son père. Il aura les mêmes jeux, les mêmes joies, les mêmes inquiétudes. Ce qui ne veut pas dire que chaque situation familiale ne pose pas un certain nombre de problèmes.

Retrouvons donc Nina.

A la seconde séance, Nina abandonne les crayons pour explorer les jeux. Elle repère très vite une Arche de Noé en bois, garnie d’animaux. Elle les regarde un par un et les place par couple, à la queue le leu, prêts à entrer dans l’Arche sous l’œil protecteur de Noé et sa femme.

« Regarde ,me dit-elle,il y a le papa lion, la maman lionne ; le papa canard, la maman cane…..ainsi de suite.

-Ah oui, et que font-ils ?

-Eh bien, ils se mettent à l’abri avant le déluge.

– et pourquoi ils vont par deux

– pour faire des bébés, après le déluge il faudra bien repleupler la terre. »

Suis-je bête !

Vogue l’arche sous la tempête !

Au bout d’un moment Nina s’en détourne, et s’intéresse à d’autres animaux. Elle en choisit deux : « c’est le papa et la maman, ils vont chercher leur bébé. »

Mais quelles terribles aventures les attendent ! Ils sont attaqués de toutes parts par des monstres.

Alors qu’ils sont proches du but, un mage surgit au sommet d’une montagne, les parents doivent répondre aux énigmes posées d’une voix tonitruante par le sorcier, sous peine d’être renvoyés chez eux. Le mage est redoutable….

Il faudra bien trois ou quatre séances d’épreuves pour que les parents rejoignent enfin leur bébé si attendu. Au fur et à mesure que les aventures progressent, Nina parle de « parents » sans préciser le sexe de chacun d’eux.

Séance suivante, l’ambiance est plus calme. Tout rentre dans l’ordre. Nina joue alors avec de véritables personnages humains, style Play mobiles. Les enfants vont à l’école. Les deux mamans, cette fois ci sont nommées ; elles vont les chercher. L’une fait les courses, l’autre s’occupe des devoirs… l’une fait à manger, l’autre baigne les enfants.

Autour de la famille la ville est animée. Un bus transporte des passagers et les conduit un peu partout. Tiens voilà des papy et mamy, des tontons qui viennent pour fêter un anniversaire. La vie, quoi !

On peut faire l’hypothèse que les jeux de Nina expriment tout à la fois ses questions et lui offrent la possibilité d’effectuer les réaménagements intérieurs nécessaires.

Première question : De quel couple, suis-je née ?

Le fait d’appartenir à une famille homoparentale ne rend pas hermétique au modèle biologique. La manière dont Nina aborde l’histoire de l’Arche de Noé en témoigne.

Elle sait- et elle est assez à l’aise avec cela pour en jouer- Nina sait qu’il faut un papa et une maman pour faire un enfant, que les couples de mamans, ne peuvent pas à elles seules avoir un bébé. Alors comment suis-je arrivée ici ? Se demande-t-elle. D’où est ce que je viens ? Interroge t elle dans son jeu.

Elle a bien pressenti les galères traversées par sa mère.

Nina a eu de la chance, car sa filiation adoptive a toujours été claire, et identifiée. Les origines biologiques ne sont pas toujours aussi clairement distinctes, selon les différentes formes de constitution de la famille homoparentale.

Il y a 5 situations d’homoparentalité.

*1- Les parents hétérosexuels sont devenus homosexuels- ce sont les situations les plus nombreuses. Si les juges accordent fréquemment des droits de visite, et droit de garde au parent homosexuel, il arrive encore que ce dernier soit écarté en raison de son orientation sexuelle.

*2- l’adoption par un célibataire, majoritairement le fait des femmes

*3- la coparentalité : un homme s’entend avec une femme. Après une insémination «  artisanale » faite maison, la mère donnera naissance à un enfant reconnu par son père biologique. Chaque parent biologique vivant sa vie séparément, l’enfant peut être élevé par ses deux papas, et ses deux mamans.

*4- IAD. Un couple de femmes se rend dans les pays qui l’autorisent. Seule la femme qui porte l’enfant est la mère.

*5-une mère porteuse. C’est la façon pour un homme d’avoir un enfant. Il peut donner son sperme à une femme qui le porte et renonce à tous droits sur l’enfant.

Les filiations sont donc diverses et ne posent pas toutes les mêmes difficultés.

La deuxième question de Nina: Qu’est ce qu’elles font les mamans dans le lit ? Quelle est la sexualité de mes parents ? Si maman et tata ne sont pas ensemble pour faire des enfants, alors que font-elles?

Ce que fantasment les enfants à propos de la sexualité des parents les aident à élaborer la leur.

En effet, pour G. Delaisi de Parseval : « l’identité de l’enfant se forme dans le creuset de la vie psychique, relationnelle et sexuelle des parents qui sont responsables de lui et l’élèvent. Si ses parents ont peu ou pas de relations sexuelles, cas de certains couples hétérosexuels, (ou monoparentales) il aura du mal à construire son identité sexuée.»

Ce qui aide, entre autres, l’enfant à structurer sa sexualité, c’est d’imaginer que ses parents ont une vie sexuelle réelle et si possible épanouie. Si cela fait partie du territoire inaccessible et interdit pour l’enfant, celui-ci cependant ne va pas se gêner pour la fantasmer. A partir et de cet interdit « à aller voir », et de ces fantasmes, il va se projeter comme futur être sexué, c’est-à-dire avant tout désirant, désirant un autre. La sexualité est alors perçue comme ce mouvement irrépressible vers l’autre, comme une « sortie » de soi riche et nécessaire.

Ce que les enfants découvrent dans les familles homoparentales, c’est la dissociation entre sexualité et engendrement. Ils sont élevés dans cette évidence là. Evidence qui ébranle des siècles de tradition.

La 3° question de Nina. A quelle histoire j’appartiens? Qu’est ce que je partage en commun avec ma mère, ma sœur, ma tante, même si nous n’avons pas la même origine biologique? D’où vient cette famille bien singulière dans laquelle j’évolue ? Elle ne vient pas du néant, c’est sur. Avant moi, qu’y avait-il ? Serions nous tous des survivants du déluge? En un mot quel est notre socle symbolique commun ?

Comme un arbre qui va chercher l’eau en profondeur quand elle fait défaut en surface, l’enfant va puiser dans l’histoire mythique les racines symboliques dont il a besoin pour grandir. Il trouve dans la vaste mémoire de l’humanité des repères qui vont l’aider à construire le roman de ses origines, le roman de son origine familiale.

Par la même il donne du sens à ce qu’il vit, il organise son vécu hétéroclite en une réalité psychique intégrable, cohérente au moins pour lui et dans laquelle il peut se reconnaître.

Il donne, imaginairement, à sa famille une mémoire, un passé. Il façonne son histoire, un conte dans lequel il distribue les rôles comme il l’entend.

Quand je serai grande…..Bien sur, Nina pose une quatrième question : et moi, quelle petite fille je suis, quelle femme je serai? Quand je serai grande, je veux me marier avec un chéri et avoir des enfants.

L’interrogation de sa propre identité sexuée est là, peut-être avec plus d’acuité que dans des familles hétérosexuelles. Elle sera revisitée à l’adolescence, bien entendu, mais elle pointe précocement.

L’enfant élevé par une famille homoparentale voit devant lui de multiples modèles : ceux du couple parental, mais aussi ceux des grands parents, des oncles, tantes, des copains ou copines de l’école, de la TV. Toutes ces multiples représentations du féminin et du masculin sont autant d’offres identificatoires différentes. Le choix s’étale devant les yeux curieux de l’enfant, et se fait de moins de moins en référence avec l’univers, les normes, règles ou lois intra-familiales.

A la dernière séance, Nina, par exemple, est toute fière de m’annoncer qu’à l’école elle a plusieurs amoureux qu’elle adore « faire marcher ». Féminine à ravir cette Nina !

En effet contrairement à un préjugé tenace, et selon les études réalisées, l’homosexualité des parents n’engendre pas celle des enfants.

Derrière cette interrogation sur l’identité sexuée se profile le poids du jugement social, voire de la réprobation morale. Le mage figure-t-il une sentence morale toujours prête à surgir.

Quelque soit leur mode de filiation, c’est un des problèmes majeurs des enfants élevés par des parents du même sexe : le regard social, souvent désapprobateur, inquiet, suspicieux porté sur l’orientation sexuelle des parents. L’homosexualité a beau être un peu mieux acceptée, elle continue à déranger dans les chaumières de France. N’oublions pas qu’elle était pénalisée jusqu’en 1982. Les choses ont bien évolué depuis, mais tout de même bien des poches de résistance résistent !

A la limite, on peut admettre la liberté des pratiques sexuelles, chacun peut faire ce qu’il veut dans son coin. Mais vouloir élever des enfants, se marier ! Ce sont de véritables coups de bouc portés aux institutions les plus ancestrales.

Les enfants des familles homoparentales reçoivent de plein fouet cette sentence sociale. Ils la rencontrent à l’école, dans les média, dans la famille. Ils entendent bien trop fréquemment des insultes intolérables, des réflexions inadmissibles. Ces agressions verbales contre leurs parents, ils les éprouvent comme si elles s’adressaient à eux. Ils sont directement et profondément atteints, j’allais dire dans leur chair, par ces paroles blessantes, humiliantes.

C’est une des grandes failles dans laquelle s’engouffre des doutes, de la souffrance, un sentiment de rejet, si ce n’est d’exclusion du fait de leurs origines familiales.

Tout aussi insidieux est le jugement familial, quelque fois moins virulent, moins frontal mais tout autant perceptible et pénalisant pour eux. Les enfants comprennent bien les lignes de tension entre les grands parents et leurs parents. En même temps, dans le meilleur des cas, il n’est pas rare que les grands parents évoluent dans leur position, grâce aux relations qu’ils peuvent avoir avec leurs petits enfants. Les petits fils, les petites filles peuvent ainsi contribuer à atténuer les tensions, permettre certaines réconciliations entre les générations.

Les petits enfants viennent restaurer quelque chose de l’enfant idéal perdu pour les grands parents à l’annonce de l’homosexualité de celui-ci ou de celle-ci.

Il ne suffit pas toujours que les parents assument bien leur homosexualité pour que les enfants puissent le faire à leur tour. Chaque enfant a à se constituer son propre système de défense. Soit il en tire une fierté : « eh bien moi j’ai deux papa et pas toi » ; soit il impose le respect, faisant taire les langues les plus perfides ; soit il doute de lui. Ce n’est jamais sans douleur, et c’est sans cesse à recommencer.

Les enfants ont surtout mal pour leurs parents. Ils aimeraient les protéger, les défendre, se constituer en bouclier. Mais ce n’est pas leur affaire. Ici comme ailleurs il ne faut pas laisser les enfants prendre un rôle qui n’est pas le leur.

D’une manière générale, ce sont des enfants qui présentent une maturité précoce sur de nombreux points. Est-ce parce qu’ils ont du faire face, très tôt, à une adversité, des préjugés que bien d’autres enfants ne rencontrent pas. Peut-être ressent-ils tellement cette pression sociale et familiale, qu’ils ont envie d’être de « bons enfants » pour prouver à la société que leur mode de vie est tout à fait légitime.

Un autre problème pèse sur eux, et qu’ils évoquent à leur manière : le vide juridique qui entoure la situation familiale de la plupart d’entre eux. S’ils ne posent pas la question en ces termes, ils se demandent fréquemment s’ils continueront à voir Tata, Papa Jacques….si leur papa ou leur maman se sépare de son/ sa chéri(e).

Le débat est complexe et mérite une analyse à lui seul, mais ce qui est clair c’est que ce vide juridique fragilise cette forme de structure familiale et laisse planer de l’angoisse au-dessus d’elle.

Bien entendu, tout cela interroge l’importance de la différence des sexes dans la structuration de la psyché.

L’éducation d’un enfant par des parents de même sexe peut ne pas entraver ce repérage. Cela dépend sans doute de l’ouverture des parents sur le monde extérieur, de leur perception de l’ « autre sexe »…mais la différence sexuée peut être reconnue, intégrée même si elle n’est pas vécue « à la maison ».

Cette division sexuée existe suffisamment socialement pour que l’enfant parvienne à l’assimiler. Ce qu’il intègre d’ailleurs, c’est la multiplicité de modèles selon lesquels les hommes et les femmes peuvent vivre leur féminité et leur masculinité.

L’enfant prend acte, constate qu’il n’y a pas de modèle unique, qu’il y a le choix entre différentes modalités de sexualité. Il le voit bien autour de lui. Il côtoie des femmes ou des hommes célibataires qui peuvent avoir ou non une vie sexuelle, qui peuvent ou non avoir des enfants, des couples hétérosexuels, des couples homosexuels femmes, des couples homosexuels hommes.

On peut se demander si les enfants des homofamilles ne sont pas plus que d’autres au cœur même de la différence. Ils la vivent ou la pressentent de manière peut-être plus  « naturelle ».

Nul besoin d’être élevé par un homme et une femme, pour se représenter la différence sexuelle.

Dire cela bouscule des siècles de référence et quelques décennies de psychanalyse. Mais le débat va plus loin.

Que le principe de différence soit un fondement de la constitution de l’être humain, cela est indéniable, au même titre que la reconnaissance de la filiation, de l’appartenance, des liens éthiques qui ordonnent les relations intra familiales.

L’acte de différencier, séparer, distinguer est bien un acte créateur et vital pour l’être humain. C’est une dimension essentielle de l’homme. Nul ne le conteste.

Ce qui est par contre mis en cause, c’est le fait que le processus de différenciation puisse s’articuler à partir de la différence des sexes. Celle-ci perd de son sens, au fur et à mesure que l’on connaît un peu mieux, et un peu plus l’être humain.

« L’anatomie est trompeuse : au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs découvertes, les scientifiques ont de plus en plus de mal à définir la spécificité des deux sexes. » expliquent lG. Charles et C. Chartier.

Les récentes recherches en génétique, ont montré que les différences et les spécificités des deux sexes étaient de plus en plus difficiles à établir. Les frontières hier encore bien définies apparaissent de plus en plus floues.

Qu’est ce qui distingue le masculin et le féminin ? Est-ce les organes génitaux, certes c’est la différence la plus évidente mais certains individus naissent hermaphrodites.

Est-ce les hormones ? Elles ne sont pas spécifiques à un sexe. Les femmes fabriquent de la testostérone et les hommes des œstrogènes. Est-ce la forme des os ? Les paléontologues reconnaissent qu’il est difficile de différencier le sexe des squelettes.

Les performances physiques ne sont pas plus convaincantes. Les compétitions de haut niveau montrent que les écarts diminuent entre le sexe dit faible et l’autre….Le poids et le volume du cerveau ? Oui, et cela a servi de base argumentaire aux phallocrates. Mais manque de chance pour eux, cette différence n’entraîne aucune distinction sur le plan de la cognition.

Tout cela pour conclure avec Simon Baron- Cohen, directeur de recherche à Cambridge.* que « les différences entre les individus quel que soit leur sexe, sont plus importantes que celles entre l’homme et la femme. »

Et pourtant non nous ne rêvons pas , les petits garçons ne font pas pipi comme les petites filles !

Alors les différences sexuelles seraient-elles avant tout idéologiques  et culturelles, impliquées dans des apprentissages implicites ?

Une évidence s’impose: le sexe ne crée plus le genre.

Nous sommes, sur terre des milliards d’êtres humains et chose extraordinaire nous sommes tous des êtres uniques, singuliers.

La différence entre les individus est un processus qui ne se réduit pas à la différence sexuée. Intervient les myriades de diversités physiques, de caractères, de réactions, d’émotions, de sentiments, de croyances, de projets, de dynamisme……

II- La question des origines.

 

Transmettre à un enfant ses origines : une fonction essentielle de la famille.

« D’où venons nous ? Où allons nous ? Qui sommes nous ? » En tant que clinicien, nous connaissons la place centrale de la question des origines dans la structuration de l’individuation et du sentiment d’appartenance. Or le récit des origines est de plus en plus difficile à transmettre.

Des origines inédites.

Durant des siècles, définir son origine revenait à nommer sa filiation : je suis le fils, la fille de… inscrit dans une généalogie repérable, il y avait aussi de fortes chances de vivre dans le même lieu que ses parents, voire d’exercer le même métier. Existait alors pour beaucoup unité de lieu, de temps, de filiation. En tous les cas une certaine évidence dans la continuité générationnelle.

Aujourd’hui, les systèmes de filiation sont moins lisibles. De moins en moins d’enfants ont la même origine que leurs parents. Du fait des grands mouvements migratoires, on ne vit plus là où on est né, ni là où on a été élevé, encore moins sur la terre natale des ancêtres.

Les fratries peuvent réunir dans les familles recomposées ou adoptives des frères et sœurs d’origines différentes. Pour les enfants adoptés, le secret des origines est un problème douloureux qui continue à se poser. Si la législation permet l’accès à certaines informations, le parcours demeure difficile, les carences de données restent importantes.

Les nouvelles configurations familiales et les stérilités des couples font que de plus en plus d’enfants sont élevés par une mère ou un père « non biologique ». Le développement de techniques d’aide médicale à la procréation, que ce soit les FIV (Fécondation In Vitro) ou les IAD (Insémination Avec Donneur), introduisent des situations et des origines inédites. Ainsi pour les bébés nés grâce à une FIV, l’origine est-ce le « tube » froid et inhumain du laboratoire ?

Dénoncer le risque idéologique de toute sacralisation des origines

Mais, attention, soyons très vigilants, cette référence à l’origine n’est pas sans risque de dérives. Toute sacralisation ou crispation sur les origines est un danger potentiel et constitue un véritable obstacle au travail de subjectivation.

Les origines singularisent un individu à partir du moment où il les reconnaît, les ignorent, les renient, les transmet, les oublient. Il faut s’autoriser à les trahir, pour mieux les respecter.

Les origines ne sont pas une réalité immuable, inaltérable qui parlerait s’une pureté perdue qui serait à préserver et à sauver. Ce genre de dérive mène l’humanité aux pires crimes. Le passé ne peut pas être une justification du présent ou une légitimation. La recherche des origines peut à un moment devenir une quête sans fin et peut-être même sans objet, dans une logique nostalgique, tournée vers le passé, régressive.

Il n’existe pas de « moi pur originel » qui serait à rechercher, à retrouver en remontant le temps. Rien ne perdure à l’identique à travers le temps. Les lieux, temps originaires sont toujours perdus, qu’on les ait connus, ou non. Accepter cette perte nous projette dans le futur, dans une dynamique féconde. « La recherche d’origine tel un ciel bleu n’est qu’un leurre. Les commencements sont bas. Le matin éclairé du monde n’existe pas, ce qui permet parfois à l’homme, à la femme d’éclairer le monde. » M. Foucault rappelait que l’acte philosophique consiste à créer « l’irréversible de la séparation d’avec l’origine. »

Remonter le temps pour expliquer l’histoire : fiction ! imaginer l’origine comme quelque chose de méta historique, anhistorique qui renfermerait les significations du présent, rien de tel pour s’aliéner et s’enfermer dans un système de causalité. Prendre acte que la séparation d’avec les temps originaires, les lieux originaires a bien eu lieu, et de manière irréversible. Cela permet de recréer en soi les ressorts de cette énergie vitale, primordiale.

Ne plus chercher l’origine dans le passé, permet d’être sans cesse dans un processus de créativité. «  A force de vouloir rechercher les origines, on marche comme un crabe. » Nietzsche, dans «  le crépuscule des idoles »

 

Donner de l’amplitude à ce concept : L’origine, ça commence où ?

Contrairement à certains stéréotypes qui voudraient la figer, l’origine ne se laisse pas réduire à un point clos, fixe ou définitif de notre histoire. Elle ne se résume pas, loin s’en faut à une date ou lieu de naissance, ni même à une famille.

Car l’origine ça commence où ? Il y a toujours une origine à une origine. Avant moi, il y a avait mes parents, avant eux, il y avait les ancêtres, avant eux il y eut le déluge, et avant avant … Après une origine, on trouve encore une autre origine, ou alors nous butons et trébuchons sur l’éternité -et comme disait W. Allen : « L’éternité, c’est bien, mais c’est un peu long, surtout vers la fin.» ou bien nous nous heurtons à l’immortalité, et ce n’est pas mieux, selon F. Nietzsche « On peut mourir d’être immortel. »

Les temps des commencements nous conduisent aux confins de l’intelligible. L’origine est fondamentalement irreprésentable, inconcevable, impensable et bien entendu, nous avons un besoin irrémissible de la penser, de la représenter, la concevoir.

N’est ce pas la recherche de cet indéterminable qui est à l’origine précisément de notre volonté de savoir, de notre capacité d’abstraction, notre ouverture à la spiritualité.

Parce que l’origine est insituable, parce qu’elle n’est qu’un territoire incertain, qu’elle appartient à un temps immémorial, elle nous entraîne dans un mouvement incessant. C’est un processus toujours à l’œuvre qui nous inscrit dans la plus grande mobilité. Elle inscrit l’être humain dans une fluidité étourdissante.

Indélébile, elle reste pourtant toujours à recréer. L’origine, c’est davantage l’horizon du devenir que le lieu du souvenir. Ne l’enfermons pas dans les replis de la nostalgie, elle tient sa magie de son énigme irréductible.

D’ailleurs c’est bien cette amplitude des origines que la clinique des enfants révèle. Ils y sont tout à fait spontanément.

 

L’origine, au-delà du transgénérationnel.

Les origines de la vie.

La question de l’origine s’impose d’abord sur un mode très philosophique aux enfants, et sur le registre de l’existentiel. Dés qu’ils accèdent à la conscience du temps, les enfants en comprennent la loi inéluctable. La mort est contenue dans tout ce qui a un début. L’origine inclut la finitude. Penser l’origine, c’est affronter la certitude de la fin. Pas facile, cependant ils y parviennent plus ou moins.

Mais une autre angoisse gronde en eux, plus sourde, plus archaïque. Vertigineuse, elle vient de très loin, d’avant les mots, elle les place face au néant, et devant une totale solitude. « J’étais où quand j’étais pas né ? J’étais rien ? C’est comment quand on n’est pas encore dans le ventre de la maman? On attend où ? »

Ce n’est plus tant la pensée de l’origine qui trouble, c’est l’inconcevable du «  avant d’avant moi. » Comment concevoir qu’avant de naître, on n’existait pas ? Terrifiante angoisse d’anéantissement, dans laquelle se manifeste la crainte d’être englouti par ce monde, par son immensité, dévoré, ou rejeté. Pour ne pas y sombrer, il leur faut dater le temps, ponctuer l’histoire, construire des limites à cet inconcevable pour le rendre représentable.

Imaginer qu’on a été personne, faut-il en passer par là pour devenir quelqu’un ?

Trouver sa place dans la filière de l’humanité.

D’autres questions surgissent qui permettront aux enfants de se situer dans l’immensité du temps et de l’espace : « tu les as connu, toi les dinosaures ? » «  Avant le Big-bang, y’avait quoi? » « Et le ciel, i’tient comment ? » « et le 1° canard, la 1° fleur, i’sont venus comment »

Les enfants ont une passion toute particulière pour les dinosaures. Ils servent de support à la représentation des temps primordiaux. C’est par l’imaginaire que l’enfant peut avoir accès à ces temps originaires.

Percevoir qu’on est la résultante de toute cette magnifique histoire, savoir que l’on fait partie de cette espèce de « fil- filière » de l’évolution a quelque chose de rassurant et permet de lutter contre les angoisses. H. Reeves(8) explique que nous sommes tous « poussières d’étoiles », et c’est bien ainsi que les enfants pressentent l’unité du vivant. Se sentir relié à une filiation cosmique inscrit l’enfant dans la grande aventure de l’humain. Ouf ! Il était temps, lui qui se sentait un peu seul, perdu.

L’enfant se trouve en se situant au cœur de ses multiples liens et appartenances, qui sont loin de se limiter à son contexte familial.

Ainsi, on ne peut rétrécir le champ de l’origine à la question de la procréation, ni même à l’histoire familiale, pas plus qu’à ses dimensions culturelles, ethniques, données essentielles bien sur mais qu’il faut encore plus ouvrir.

L’enfant a besoin de se situer dans des origines qui vont bien au-delà du transgénérationnel.

L’appartenance à la famille d’aujourd’hui, aussi aimante soit-elle, ne suffit pas à inscrire l’enfant dans son histoire. En élargissant ses perspectives de filiations, l’enfant tisse son humanité. Humain parmi les humains, il construit son rapport aux autres. Ainsi quelque soit son mode de procréation, son origine biologique, l’enfant se perçoit d’abord comme enfant de l’univers.

La filiation en question, ou le roman familial.

Mes vrais parents ?…Chut, c’est un secret

En grandissant, l’enfant va commencer à se centrer davantage sur son univers familial. Inévitablement, la question des origines interrogera les processus de filiation. Là aussi, quelque soit la structure de la famille, le sentiment d’appartenance se construit en se déconstruisant à un moment donné. Pour l’enfant, la filiation n’est pas une donnée intangible, immuable. Elle ne s’impose pas comme une évidence durable, ni comme une chose sacrée à laquelle il serait interdit de toucher. Au contraire, pour les enfants la filiation, l’appartenance sont des objets à questionner. Dans un mouvement très spontané et très naturel, ils n’hésitent pas à la mettre en doute. Du haut de leurs cinq ou six ans, ils la contestent, la rejettent pour, en général, mieux y adhérer ensuite. En parodiant S. De Beauvoir, on pourrait dire : «  On ne naît pas fils ou fille de ses parents, on le devient. »

Ce ne sont pas les liens de sang, ni la couleur de la peau qui forgent le processus d’affiliation, c’est l’inscription d’un individu dans un ordre social donné qui fait de lui un être humain pouvant se reconnaître comme tel. Ce sont les règles, les valeurs, la confiance partagée au gré des jours, qui inscrit un individu dans une famille.

La filiation, un travail sans cesse à l’œuvre ?

Se sentir profondément- j’allais dire viscéralement- enfant de ses parents nécessite un cheminement bien particulier, et sans doute jamais réellement fini. La filiation, ce n’est peut-être que la résultante d’un processus complexe d’affiliation, impliquant tout à la fois le biologique, l’affectif, le symbolique, le juridique, et bien d’autres choses encore.

A un moment de son histoire, l’enfant se forge, en y croyant dur comme fer, une nouvelle constellation familiale. Ce n’est pas par simple goût du mensonge qu’il en vient au roman familial. Il s’agit d’un processus constituant de son sentiment d’appartenance. L’enfant, mais peut-être tout individu a besoin de refuser ce qui existe- bon ou mauvais- pour le recréer, et pouvoir s’y inscrire autrement. Les enfants auraient-ils lu Nietzsche? Ainsi en effet parlait Zarathoustra à ses disciples: «  A présent, je vous ordonne de me perdre et de vous trouver vous-mêmes ; et ce n’est que lorsque vous m’aurez tous renié que je reviendrais parmi vous….je vous aimerai d’un autre amour… vous serez de nouveau les enfants d’une seule espérance. »

A la sortie du roman familial, la famille à laquelle il s’affilie n’est pas, aux yeux de l’enfant la même famille que celle d’avant. Dans cette expérience de la dépossession, de la désappartenance, l’amour perd sa dangerosité. Tout se passe comme si l’enfant devait perdre « symboliquement » sa famille d’origine pour y revenir autrement, dans une nouvelle position, plus actrice, plus motrice et plus investie. Pour P-C Racamier « On n’investit que ce qu’on invente, et l’on invente que ce qui existe déjà »

La famille, quelque soit sa structure devient bel et bien pour l’enfant une réalité « créée -trouvée ». Processus que Winnicott(9) considère comme structurant le rapport de l’enfant à son contexte. Cette réalité apparaît souveraine, parce que remaniée par le monde interne de l’enfant. Elle parait ainsi plus supportable, mieux ajustée à ses désirs, à ses besoins.

Ce détour lui permet non seulement de changer de représentation, mais aussi de position par rapport à la famille et par rapport à la vie. Il accède d’une manière essentielle à une position de sujet, de sujet de son histoire malgré tous les déterminismes de son origine.

Le roman familial est un acte tout à fait personnel qui rend l’enfant auteur, co-auteur de son existence. Il le place dans une dynamique vivante par rapport à la question des origines.

La filiation n’est pas une donnée monolithique mais c’est un processus. Ce n’est peut-être que la résultante d’un processus complexe d’affiliation, impliquant tout à la fois le biologique, l’affectif, le symbolique, l’éthique, le juridique, le culturel, le religieux, le politique…et bien d’autres choses encore.

Conclusion. L’origine, un conte inachevé…

Ainsi le récit de l’origine est sans cesse à faire et à défaire. Il était une fois l’origine… l’origine n’est donc qu’un conte, mais le fait qu’elle soit un conte, ce n’est pas rien. C’est un récit qui sépare et relie à la fois. A aucun âge de la vie nous n’avons la même représentation de nos origines, des origines de nos enfants, de nos parents, ni la même position. S’il appartient aux parents de donner aux enfants des éléments permettant cette élaboration, le récit de ses origines est un acte qui reste libre et singulier.

* Extrait de Raconte moi d’où je viens

 

Les rivalités fraternelles

Article paru dans la revue Réalités Pédiatriques #163, octobre 2011

Résumé : Les rivalités et jalousies sont inévitables au sein d’une fratrie, elles peuvent prendre des formes plus ou moins virulentes. Elles sont la manifestation d’un enjeu existentiel antagoniste entre l’aîné qui doit apprendre à laisser une place au cadet, et celui-ci qui doit parvenir à imposer sa présence. La loi parentale imposant le respect mutuel des territoires, jouets, différences, permet l’intériorisation d’un surmoi fraternel.

Tant que les moments de rivalités alternent avec les moments de complicité, tout va bien ! Car ce lien est profondément ambivalent. Si la fratrie n’est que sur le registre du conflit, il faut se demander quels enjeux parentaux inconscients resurgissent sur la scène de la fratrie.

Aider les frères et les sœurs, issus d’un même couple parental ou grandissant dans des familles recomposées, à dépasser les rivalités, constitue un véritable apprentissage de l’altérité.

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Les nouvelles formes de filiation

Introduction au colloque 2009 du Ceccof, par Nicole Prieur

Il y a une certaine logique à faire coïncider ce thème et le trentième anniversaire du Ceccof : en 30 ans nous avons connu des bouleversements profonds et irréversibles qui nous touchent aussi bien en tant qu’individu, dans nos couples et nos familles, mais aussi dans notre pratique.

Nous avons vu se dérouler sous nos yeux, une véritable révolution anthropologique.

Depuis quelques décennies, qu’observons nous ?

  • Transformation des représentations des places des femmes – des hommes – des enfants dans la société : modification de leurs statuts. Valorisation de l’enfant. Revendication identitaire, d’accomplissement individuel.
  • Modification juridique de la parenté ; En 1970, abolition de la puissance paternelle. Autorité parentale exercée à égalité, et devant être assumée même après divorce. L’état en est le garant.
  • Progrès scientifique et évolution des mentalités : contraception, avortement : première grande dissociation : la sexualité et la procréation sont désormais disjoints. « Un enfant quand je veux… avec qui je veux. Un homme, une femme, une mère porteuse… »
  • Nouvelles techniques : Aide médicale à la procréation, IAD – qui vont introduire une révolution anthropologique radicale.
  • augmentation des filiations adoptives.  L’adoption crée une descendance sans engendrement.

La sexualité n’est plus le socle fondateur de la parenté ; fiv : fécondation hors rapport sexuel, don de gamète, d’ovocyte, mère porteuse, … Il faut trois corps pour faire un enfant.

Conséquences : le fondement biologique de la parenté s’effrite, et sa dimension sociale s’affirme de plus en plus.

affiche colloque Ceccof 2009

Il y a un éclatement des dimensions constitutives de la parenté. Eclatement plutôt que perte. Fragmentation qui pose la question de l’articulation des différents acteurs.

« La crise de la famille ne tient ni à l’apparition des familles monoparentales, ni à  l’augmentation des divorces, ni à la revendication de mariages homosexuels, mais plutôt à l’éclatement et à la dispersion des fonctions que, traditionnellement, elle réunissait » (entretien avec M. Gauchet. A propos du livre de M. Godelier sur les métamorphoses de la parenté. In Enjeux, janvier 2005)

D’autre part, il y a un véritable trouble dans la filiation. Les enfants n’ont plus la même origine que leurs parents, ni que leurs frères et soeurs.

La question : qui est la mère ? celle qui porte l’enfant ? celle qui a donné l’ovocyte ?  celle qui adopte ? celle qui l’élève ? avec une référence encore forte qui nous amène à nous demander « qui est la vraie mère » ? dans une idéologie de « la concurrence ».

Avant il pouvait y avoir un doute sur la paternité, maintenant, il peut y en avoir sur la maternité.

Dans ce contexte, l’homoparentalité a surgi. Cette revendication des homosexuels est elle aussi une toute première dans l’histoire de l’humanité. Elle ne surgit pas par hasard ; mais elle est la conséquence de tous ces changements de fond ; elle est devenue possible grâce à toutes ces lames de fond, et elle pose, à vif, les questions sous-jacentes que l’on ne veut pas toujours aborder.

Mais très paradoxalement « ce serait au sein des famille homoparentales que la parenté se réaliserait pleinement en devenant une réalité purement sociale et affective »

L’homoparentalité met à nu les questions de fond qui se posent à tout un chacun et bien au-delà de la seule dimension morale. Qu’est ce qui fondent désormais les liens de parenté ? Qu’est ce qui structure la dimension éthique des relations entre individus à l’intérieur d’une famille et à l’extérieur, puisque le mot d’ordre c’est le désir ?

Désir de quoi ? Désir auto-centré : se faire plaisir ? Désir de partage, de transmettre, de construire, de fonder un lignage, de créer du temps et de l’histoire ? N’y a-t-il qu’une dimension de désir derrière tout cela, ou quelque chose de plus fort encore ?

Dans une société de l’éphémère où zapper est devenu un mode de vie, l’enfant représente sans doute un garant de la durée, de la continuité. Il vient apaiser, un tant soit peu,  notre angoisse existentielle, en « prolongeant » quelque chose de nous. Avoir un enfant, c’est s’engager à l’aimer toute notre vie, c’est en tous les cas, être certain d’avoir toujours peur pour lui, quelque soit son âge ! Face à la précarité des liens sociaux, amoureux, professionnels, il  nous introduit dans une expérience de permanence.

Longtemps dans nos sociétés judéo-chrétiennes, et occidentales, la parenté  se définissait comme un ensemble de liens généalogiques à la fois biologiques et sociaux. Elle s’articulait autour du concept de filiation qui se définissait par un certain nombre d’éléments.

  • Liens de sang : une primauté de la dimension biologique. selon le principe biblique, enfant : chair de ma chair – symbolisant l’idée de l’union de l’homme et de la femme. Un et une : un – un homme + une femme : un enfant. Prévalait alors cette sacrée sainte unité symbolique. Cette dimension inscrivait l’enfant dans sa filiation claire, évidente, non susceptible d’être remise en cause. Parents et enfants avaient la même origine.
  • Liens éthiques. Articulés autour des systèmes d’alliances,  dons, loyautés, dettes, devoirs, droits,  interdits, qui structuraient les relations entre les générations et à l’intérieur même des générations.
  • Incluant la dimension de transmission : du nom ; du patrimoine ; du savoir, d’un métier… permettant d’assurer la permanence et la continuité de la lignée. Les règles et codes étaient précis comme par ex la place de l’aîné… ;
  • La dimension sociale, passait par le fait de donner à l’enfant sa place et son rang dans la société ; mais aussi le devoir de «  donner un enfant » à la patrie, au groupe culturel ethnique, religieux auquel on appartenait, de manière aussi à le renforcer et en assurer la pérennité. Cela intégrait la dimension éducative. On élevait les enfants, on les éduquait ou on ne les éduquait pas en fonction de la place de l’enfant dans le système social.

Tout cela contribuait à définir des fonctions – paternelles ; pater familias ; maternelles, dévouement ; et filiales ; devoir de secours des ascendants. Mais aussi des identités. Il y avait un continuum entre parenté et parentalité.

Dans les sociétés traditionnelles,  la place, la fonction de chacun étaient assignées par le groupe. Les valeurs, la vision du monde étaient transmises. Les  rituels permettaient à chacun d’intérioriser  les attentes du groupe à son égard. Chacun était ce qu’il était, et ne pouvait même pas s’imaginer autrement, ni ailleurs. L’identité était octroyée et subordonnée souvent par la naissance, le nom, le lignage. Bref, elle ne relevait pas d’un processus autonome. Donnée par le groupe, transmise par les générations des ancêtres l’identité était forte et structurée. Elle était quelque fois entièrement contenue dans le nom, nom du lignage.

L’identité était en parfaite adéquation avec les attentes du groupe puisque construite uniquement par lui, ce qui en garantissait la permanence.

Le prix de cette cohérence, de cette unité, c’était la répétition. Rien ne changeait à l’image du cosmos rythmé par la circularité du temps, des saisons.

Aujourd’hui, l’identité est devenue incertaine, elle perd sa cohérence, son unité. Les repères existentiels, se dissolvent, le sens ne vient plus d’en haut, ni du groupe. Nous voici donc sommés de nous inventer nous-mêmes, de devenir SOI, de donner un sens à notre vie. L’identité devient une affaire individuelle. Sa construction devient un travail à part entière. « S’inventer soi-même ne s’invente pas…. » JP K. cela nécessite un coût psychique non négligeable. « L’invention de soi, perspective irrépressible et fascinante de responsabilité et de liberté, ouvre parallèlement sur l’horizon de désarroi, d’implosions individuelles et d’explosions collectives, car il n’existe rien de plus difficile à canaliser que l’énergie mentale d’affirmation de soi, pourtant de plus en plus indispensable. »

Pour se réaliser, l’individu est tiraillé entre ses appartenances et sa revendication d’autonomie, entre sa famille d’origine, son couple, son temps personnel, son espace perso…..

Plus cette réalité devenait complexe, plus il nous semblait important de diversifier nos approches, de nous ouvrir à l’interdisciplinarité, et nous avons eu le plaisir de voir aussi une évolution positive par rapport à cela.

Des approches qui au démarrage se rejetaient mutuellement, chacune se voulant être la panacée de la clinique, de la compréhension… se sont au fur et à mesure des années, respectées, ont pu dialoguer, nous aider à décloisonner nos regards.

Nos approches tant conceptuelles, et cliniques n’ont cessé d’évoluer.

Dans une direction très intéressante, à la fois elles se sont différenciées, on recense de nombreuses formes de thérapies, de corpus conceptuels, et à  la fois, elles parviennent davantage, à au moins coexister, en se respectant, et au mieux dialoguer, comme on a toujours tenté de le faire au cours de nos journées cliniques.

Le Ceccof a toujours eu à cœur de ne pas seulement « parler » de la clinique, mais aussi  de la montrer, de présenter le travail, en organisant des séances en direct, ou enregistrées.

Médiation familiale avec l’enfant et psychothérapie d’enfant : quelles différences ?

co-écrit avec Violaine Godart – Colloque du Forum européen de la médiation familiale, sur le thème « L’enfant et la médiation familiale » – Paris, juin 2009.

Violaine Godart est médiatrice familiale, responsable du DEMF (Diplôme d’Etat de Médiateur Familial) et intervenante au CECCOF, thérapeute familiale.

En comparant nos deux approches, Violaine Godart et moi-même allons tenter de mettre en évidence les différences et les éventuels points communs de la médiation et de la thérapie d’enfant. Apparaîtra très rapidement l’idée que la question de la place de l’enfant en médiation ou en thérapie ne se pose pas seulement en termes de présence ou d’absence de l’enfant au cours des séances. Absent, il peut peser de tout son poids aussi bien en médiation qu’en thérapie familiale par exemple. Présent en thérapie, on peut travailler avec lui sous divers angles. Cette question en fait renvoie inéluctablement aux positions épistémologiques de chacun, et vient interroger les fondements même, souvent implicites de nos pratiques, elle met, pour le moins en évidence, la nécessité de les clarifier.

L’enfant en thérapie

S. Lebovici disait : « Le jour où je ne pourrai plus me mettre à quatre pattes sur le tapis, il faudra que j’arrête ce métier ». En campant le décor d’une thérapie d’enfant, d’emblée on perçoit sa spécificité. Cette thérapie ne ressemble ni à une médiation, ni même à une autre forme de thérapie d’adulte, ou familiale…
En effet, en général, le lieu de travail privilégié de ces thérapies : le tapis, l’activité essentielle : le jeu, le dessin ; les outils quotidiens : la pâte à modeler, les feutres, la peinture. Dans ce contexte ludique, que cherche à travailler le thérapeute. Selon son orientation, il interviendra différemment.
– Approche psychanalytique. On travaillera davantage l’intrapsychique, les pulsions, le nœud oedipien. On analysera le transfert, on interprètera les dessins comme une expression du refoulé. Le but : lever les stases du développement psychodynamique de l’enfant, le remettre en mouvement.
– Approche systémique, on reçoit l’enfant avec sa famille, et on analyse la fonction du symptôme dans le système. Le but : transformer les jeux relationnels, en analysant les mandats transgénérationnels, les loyautés implicites….
– Approche Winnicottienne. On travaillera sur les ressources de l’enfant et de son contexte, puisqu’il y a interface entre l’intrapsychique et l’interrelationnel. Le but accroître l’aire transitionnelle, c’est-à-dire l’aider à développer sa créativité, notamment en favorisant le jeu. Cette approche rejoint tout à fait ma position de philosophe qui prend en compte l’individu le plus possible dans sa globalité, comme une psyché incorporée, ou comme un corps pensant.
Cet enfant, que l’on peut donc aider en choisissant tel ou tel axe thérapeutique, est accueilli encore autrement en médiation. Les différences existent qu’il est important de respecter de manière à ne pas confondre ni les contextes, ni les enjeux, ni les objectifs. Il s’agit alors d’être au clair avec nos positions, postures, limites, de manière à ne pas rajouter notre propre confusion à des situations déjà bien confuses et confusionnantes.

D’inspiration winnicottienne, je ne me prive pas d’un regard et d’une lecture systémique, même si je reçois l’enfant individuellement. On ne peut pas travailler avec un enfant en ignorant les jeux relationnels dans lequel il est impliqué et sans mesurer la fragilité du système familial, sa mobilité, ses résistances. Travailler avec un enfant, c’est toujours travailler peu ou prou avec la famille.
Toutefois, c’est vraiment la subjectivité de l’enfant qui est ma préoccupation première. Dans la mesure où elle se construit dans l’intersubjectivité, elle est interdépendante des modalités interactionnelles de la famille, j’essaie d’en tenir compte. Mais ce que je vise : le renfort de l’individuation qui permettra à l’enfant ensuite de réguler sa distance, ses loyautés, de trouver si possible une place et une fonction au sein de la famille moins pathogènes.

Une lecture systémique, ou même psychanalytique de l’enfant et de sa famille ne me font pas perdre de vue mon orientation thérapeutique, mes choix épistémologiques centrés avant tout sur la mobilisation des ressources de l’enfant et la conviction qu’il est tout à fait capable de se situer le plus justement possible pour lui dans ses relations familiales, aussi complexes soient elles, à partir du moment où on lui donne la possibilité de croire en lui et en la force de sa singularité.
Je travaille dans la perspective de changer la relation de l’enfant à lui-même, sa propre représentation, changement qui évidemment aura des répercussions sur le système, et pas l’inverse, comme cela se passe en thérapie familiale. Même si au cours d’une thérapie je peux être amenée à « soutenir » le système dans ce changement, c’est toujours l’enfant qui restera mon interlocuteur privilégié. Il reste le centre de la thérapie.

Mes axes thérapeutiques

– Le travail de différenciation. Plusieurs niveaux de différenciation sont à prendre en compte :

1- différence avec ses parents : que l’enfant s’autorise à être différent de ses parents, afin d’éviter la confusion/fusion identitaire. Le sortir autant que faire se peut du « tu seras timide comme moi, mon fils »
2- différence avec l’enfant idéalisé, rêvé, que les parents attendent, projettent. Qu’il ne se disqualifie pas s’il n’est pas l’enfant parfait de papa, maman, grands parents…
3- différence générationnelle / situer l’enfant à sa place d’enfant, le libérer d’avoir à « porter » un parent, le libérer de certaines missions inconscientes( sauver, protéger, consoler un parent…) / le libérer de certaines loyautés invisibles / inviter quand c’est possible les parents à prendre leur place de parents.

– Le travail sur l’individuation de l’enfant, le renforcement de ses frontières psychiques, ses frontières corporelles. Développer son monde intérieur, son imaginaire. Travailler sa re-narcissisation, le restaurer dans son estime de soi, sa confiance en soi. L’aider à construire son propre récit de l’histoire familiale, l’autoriser à avoir sa propre représentation des figures parentales et de l’histoire du couple. Accompagner un changement de représentation.

– L’élaboration de ses angoisses et de ses questionnements existentiels. La thérapie est un lieu d’échanges sur toutes ses questions sur la vie, la mort, les origines, la maladie, la justice…

– Redéfinir la place et la fonction de l’enfant dans sa famille. Tout ce travail permet à l’enfant d’être moins impliqué dans les jeux relationnels de la famille, conflits, alliances… travailler l’autonomie.

– Travail sur les rivalités fraternelles

Outils thérapeutiques

– le jeu : « c’est en jouant et seulement en jouant que l’individu , enfant ou adulte , est capable d’être créatif et d’utiliser sa personnalité toute entière ; et c’est seulement en étant créatif que l’individu découvre son soi. De là , on peut conclure que c’est seulement en jouant que la communication est possible »( « Jeu et réalité » Winnicott)
Le jeu permet l’émergence du « je » parce qu’il se situe dans l’aire transitionnelle, appelé aussi espace potentiel, qui se trouve être le lieu de rencontre avec l’Autre.
Dans le jeu, il y a une forte mobilisation du corps. Ce qui permet à l’enfant d’investir, d’habiter l’espace, d’y trouver Sa place. Il retrouve une mobilité à l’intérieur de son espace, il construit son espace intérieur en même temps qu’il habite l’espace offert.
Par le jeu, l’enfant s’éprouve comme vivant. Tout en stimulant sa créativité, le jeu aide l’enfant à mobilise sa capacité de reconfigurer le monde.

– le secret. Il s’agit d’un « pacte officiel » avec l’enfant, énoncé devant les parents lors de la première séance quand je les reçois ensemble. « Ce que nous nous disons ici, ce que nous faisons, c’est un secret entre toi et moi, tu pourras toi-même raconter ce que tu veux à tes parents,mais moi je ne parlerai de rien, sans qu’on en ait discuté auparavant avec toi. Par exemple, tes dessins resteront ici, et on ne les montrera pas aux parents, c’est ton affaire à toi…. »
C’est un véritable outil d’individuation. L’enfant apprend à définir ce qui est à lui, en propre, ce qu’il peut partager, avec qui partager telle ou telle chose.

– Instituer un nouveau pattern relationnel avec l’enfant. Il s’agit de permettre à l’enfant de vivre une nouvelle forme de relation, ne pas le laisser répéter avec moi ce qu’il vit avec sa mère, son père. Assurer une présence « totale et légère » entendre les ressources de l’enfant, pressentir sa singularité. Tout en entendant les conflits internes de l’enfant, tout en le rejoignant au plus prés de sa souffrance, tout en me laissant tomber dans le chaudron familial, je suis avant tout dans l’attente d’un changement à advenir. Je suis moi même en relation avec son potentiel, cette matière informelle, encore impalpable , présente en lui et qui me traverse
« C’est en nous que prend forme la singularité de l’autre. Le thérapeute est celui qui s’émerveille par anticipation devant quelqu’un au bord d’une nouvelle vision du monde, devant une autre manière de vivre.
Par notre présence totale, il s’agit de laisser venir à nous la globalité du patient jusqu’à rencontrer une singularité qui excède les similitudes. Tant qu’une famille est capable de nous fournir des confirmations de notre science, c’est que nous n’avons pas encore commencé à l’observer. La tâche est accomplie quand on ne parvient plus à faire entrer cette famille dans nos catégories connues. » F. Roustang

Position du thérapeute

– Jouer. Pour Winnicott un thérapeute qui ne joue pas avec l’enfant n’est pas fait pour ce métier. Il s’agit de jouer mais Winnicott est très clair, pour lui, il s’agit avant tout de se perdre dans le chaos, d’y plonger. Le jeu devient thérapeutique, nous dit-il, quand le clinicien est « capable d’entendre le chaos initial du patient . » Mais l’entendre surtout « sans avoir besoin de cohérer ce non sens ». « Le patient peut alors se rassembler, et exister comme unité et non plus défense contre l’angoisse » ; sinon le patient « aura manquer une occasion de se reposer, de ce type de repos d’où émerge la créativité. »

– Garder sa liberté. Afin de respecter la liberté de l’enfant, il me semble essentiel de ne rien vouloir pour l’enfant, de ne pas avoir, non plus, de dessein pour la famille. C’est peut-être là que se situe la frontière entre thérapie individuelle d’enfant et thérapie familiale. En tant que thérapeute d’enfant, je ne dois rien vouloir comme changement pour la famille. Je dois seulement donner à l’enfant la possibilité de trouver lui-même Sa place. Sinon je me substitue à la responsabilité de l’enfant, je le prive de sa propre liberté.
Mais pour respecter la liberté de l’enfant, rien de tel que de garder ma propre liberté. Les parents, l’école ont des attentes énormes, et paradoxales. « Cet enfant est insupportable, il est triste, en difficulté… faites en un enfant parfait, ou presque, qui file doux… mais surtout ne nous demandez pas de changer nous-mêmes quoique ce soit. » Toute la question, c’est de savoir comment garder sa liberté face à ces demandes écrasantes et impossibles.
En ayant à l’esprit ce que dit F. Roustang « Sa guérison n’est pas mon affaire, mais la sienne propre » Je suis là pour aider l’enfant à mobiliser ses ressources mais c’est lui seul qui sait, compte tenu de la complexité de sa famille, quel changement il peut mettre en place, quelle nouvelle place il peut investir. Il est clair que je ne peux rien décider pour lui.

Les limites de la thérapie individuelle

– dans une situation de séparation, il est nécessaire d’avoir l’accord des deux parents, ce qui n’est pas toujours possible. Sinon, le thérapeute risque d’être instrumentalisé, « récupéré », ce qui peut placer l’enfant dans des conflits de loyautés difficiles. Je peux être amenée à préconiser alors une médiation.
– quand le système est trop rigide, pathologique et qu’il ne peut « lâcher » l’enfant/symptôme. Je peux recommander une thérapie familiale, éventuellement en double prise en charge avec la thérapie d’enfant.
Finalement, il me semble que les différences les plus radicales, entre l’enfant en médiation et l’enfant en thérapie, se situent sur le plan des orientations, positions espistémologiques.
Le point commun qui peut se dégager, c’est l’éthique, le souci du respect des besoins de l’enfant, c’est-à-dire une interrogation permanente sur nos postures et nos choix.

La place de l’enfant en médiation familiale

Tout en écoutant Nicole, ma réflexion et mes pensées viennent encore de bouger…
Aussi je viens aujourd’hui vous dire où j’en suis de mes constats en tant que médiatrice familiale, en ce temps T, et il se peut qu’à la sortie de ce très beau lieu qui nous accueille, ils aient encore évolué sous l’influence de vos questionnements…
Cette remarque m’amène à vous préciser que j’exerce le métier de médiatrice familiale au CECCOF (Centre d’Etudes Cliniques des Communications Familiales – Paris 11ème), et seulement au CECCOF, n’étant thérapeute familiale qu’en libéral.
Mon approche théorique de référence est l’approche systémique.
Si ,pour aborder la question du travail avec les enfants en médiation familiale, je m’en réfère à ce que vient de dire Nicole, mon chemin dans ce domaine est beaucoup plus tracé.
Voici donc le factuel de mon expérience.
Quand est ce que la question de la présence de l’enfant se pose dans ma pratique ?

Il s’agira par exemple d’une séparation conjugale ancienne ou un conflit de couple persistant mêlé à une rupture de lien avec l’un des parents à la pré adolescence ou adolescence de l’un des enfants.

Il peut s’agir aussi d’un adolescent qui demande à être entendu sur la question du droit de visite mais en général, là encore, un conflit parental existe implicitement.

Enfin dans l’hypothèse où des parents sont d’accord pour solliciter sa présence dans un contexte de recueil d’information (identique à celui du 1er entretien dans le processus de médiation)

Je dois d’entrée de jeu préciser que dans l’institution dans laquelle j’interviens, où il existe des consultations de thérapie familiale, le cadre nécessaire pour l’intervention du médiateur est strict : une séparation des parents est indispensable sinon il s’agira d’une thérapie familiale.

Quelle légitimité je me donne en tant que médiatrice dans ce questionnement autour de la présence de l’enfant ?
Tout d’abord je reste encore convaincue que le préalable est toujours de travailler à apaiser le conflit du conjugal pour « libérer » un enfant du conflit de loyautés ou du clivage dans lequel il se situe.
Si au moment où je vois les parents, cela apparaît comme impossible, dois- je considérer qu’il n’y a rien à faire pour le médiateur qu’à laisser l’enfant pris dans les rets de ce filet ?
Conceptuellement, je ne crois pas.
Tout d’abord la juriste que j’ai été et que je suis encore reprend la définition du conseil consultatif de la médiation familiale : « La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution. »

Qui dit rupture peut entendre rupture de communication dans un lien même celui d’un enfant avec son parent.

Ensuite il me semble que le travail de médiation familiale s’apparente à un travail conjugal autour des loyautés et des trahisons.

Que Nicole ait travaillé ces questions là n’est sans doute pas anodin dans mes réflexions d’aujourd’hui autour de notre intervention commune.

La médiatrice que je suis a ces références en tête quand elle travaille.

Or si j’ai à recevoir des enfants et des parents dans ma pratique, il n’est évidemment question que de cela dans la rupture de relation entre deux êtres dont l’un pour survivre a choisi un parent plus qu’un autre.

Les fondements de mes interventions ne s’en trouvent pas choqués et je suis à l’aise dans ce que je sais faire.

De plus si ma pratique de thérapeute m’apporte des savoirs et des savoirs faire qui ont leur importance dans ma tranquillité, cette complémentarité m’a aidée à cerner que je ne suis pas assise de la même façon.

Les limites me sont assez perceptibles et mon intervention plus cadrée en médiation.

Concrètement, comment se fait le travail du médiateur en présence d’un enfant ?

Il est focalisé autour de la création d’un lien ou de la restauration de ce lien en utilisant la loyauté comme point d’appui, avec des outils pour viser la différenciation et l’autonomie tels que par exemple le génogramme pour rétablir symboliquement les deux lignées et un questionnement projectif.

Par rapport au processus de médiation familial, il se fait essentiellement dans le cadre de la phase d’intercommunication propre à la médiation, pour ensuite reprendre la négociation avec les parents.

Ce qui me permet à mon sens de poser les points communs et les différences avec la thérapie d’enfant.
Quant aux différences avec la thérapie d’enfant :
La durée de la médiation est elle cadrée dans un nombre réduit de séances.
Le cadre d’intervention je le répète est strict, c’est celui d’une séparation parentale.
Enfin il y a un contexte de conflit qui entraîne alliance et coalition, et clivage.
En tant que médiatrice, la parentalité, la complémentarité compréhension et autorité, voire l’éducatif sont des concepts qui sont en jeu dans les entretiens même si le médiateur respecte sa posture de non conseil.
Enfin, l’analyse systémique comme grille de lecture de la famille.
S’agissant des points communs avec la thérapie d’enfant, j’utilise les mêmes concepts tels que ceux de loyauté, d’origine, de lignée, de trahison et de différenciation.

Ceci précisé, les limites de ce travail que je perçois tiennent comme dans le travail autour du conjugal à un conflit très enkysté notamment quand l’histoire de la famille a rencontré la justice au pénal.
Enfin si les droits et les devoirs de l’enfant me légitiment aussi dans la prise en compte de ses intérêts directement en médiation, il y a constamment à rappeler le cadre de l’autorité parentale pour canaliser la tentation de ce que certains auteurs nomment le « terrorisme infantile ».
Et c’est d’ailleurs au départ de cette réflexion qu’aujourd’hui j’ai repensé ma pratique. Je poursuis les médiations familiales en n’excluant pas la présence de l’enfant.
Mais alors que j’ai privilégié dans mes entretiens les rendez vous entre enfant et parent en rupture de lien, je travaille plus maintenant dans une souplesse au niveau des intervenants, ce qui me permet d’éviter plus sûrement un risque d’escalade symétrique dans le processus lui-même, et le lien parent proche et enfant.
En clair, l’axe est de travailler plus aujourd’hui avec le parent élu par l’enfant plus qu’avec celui qui est rejeté, contrairement à ma pratique de départ potentiellement plus dangereuse pour ma posture de tiers, ce qui met aussi l’élu moins en danger et l’enfant moins en loyauté.
Il s’agit bien sûr toujours d’une élaboration autour de ce concept pour permettre au parent choisi d’autoriser à l’enfant une trahison.
L’enfant est alors replacé dans la hiérarchie familiale ce qui met moins à mal l’exigence d’égalité des médiants exigée par la déontologie.
Pour conclure je dirai que si le métier de médiateur familial que j’enseigne en tant que formatrice est ancré dans la créativité, ce que je viens de dire va sûrement évoluer dans les mois à venir !

Autonomie et dépendance des thérapeutes dans les doubles prises en charge

co-écrit avec B. Prieur* in Thérapie Familiale – Genève, 2008.

Pourquoi une double prise en charge ?

De nombreuses situations thérapeutiques nous mettent face aux limites de nos approches respectives.
Par exemple, un thérapeute individuel estimera que le travail de son patient – adulte ou enfant – devrait être complété, ou poursuivi par une thérapie familiale ou de couple. De son côté, un thérapeute familial peut être amené à envoyer un membre de la famille en thérapie individuelle.
Plusieurs modèles de doubles prises en charges thérapeutiques existent.

C’est dans les années 90, que nous avons commencé à mettre en place au Ceccof, un premier modèle de double prise en charge intégrée, concernant des jeunes enfants et leur famille- thérapie familiale, et thérapie individuelle se déroulaient en parallèle au Centre, selon un protocole bien défini.
Depuis nous avons évolué et diversifié notre modèle de double prise en charge.
Trois modèles se sont imposés au fur et à mesure que nous sommes devenus plus attentifs, vigilants à la singularité des différentes situations que nous rencontrons dans notre pratique. Cette évolution nous permet de prendre en compte davantage la complexité des situations cliniques.
Sans doute aussi, avons-nous pris davantage de liberté, d’autonomie par rapport à nos modèles théoriques et référents. Nous hésitons moins à mettre en place des prises en charges particulières et à priori hors des cadres classiques, qui auraient tendance à séparer davantage les différentes thérapies pour les différents membres d’une même famille ou éventuellement à les intégrer au sein d’une même thérapie familiale.

Qui intervient dans ces doubles prises en charge ?

Nicole est thérapeute individuel, elle reçoit des enfants, des adolescents, et des adultes. Formée successivement aux différentes écoles classiques, elle se situe aujourd’hui dans le courant de l’hypnose. Elle revendique avant tout une formation philosophique qui l’amène à considérer l’homme dans sa globalité. Le sujet ne peut être réduit ni à son intrapsychique, ni à ses interactions. Ce n’est pas seulement un parent, un enfant de, ni seulement un citoyen, mais un individu vivant sur tous ces plans en même temps, dans un corps qui l’individualise, face à des choix incessants, générant des conflits de loyauté.
Ce qui oriente son travail c’est l’autonomisation, l’individuation du patient.

Bernard est thérapeute systémique. Il vise davantage la place de l’individu dans le système, sa fonction, ses appartenances.

En fait, la définition de l’autonomie n’est pas la même pour ces deux thérapeutes.
Pour elle, l’autonomie, c’est accéder à plus de liberté en s’ouvrant aux choix réels, les moins névrotiques possibles, désenclaver certaines auto-limites.
Pour lui, l’autonomie, c’est la gestion des dépendances

Quel jeu relationnel entre les thérapeutes ?

La double prise en charge se distingue de la co-thérapie, en ce sens que le thérapeute individuel reçoit seul l’enfant, et ne participe qu’exceptionnellement aux séances familiales. Le thérapeute familial mène seul ces dernières.
Selon les trois modèles le rythme et l’intensité des régulations entre les thérapeutes a nettement diminué, pour quasiment disparaître dans le dernier modèle.
Alors quelles relations se tissent dans ce contexte thérapeutique ? Sans doute aussi les modèles ont-ils évolué au fur et à mesure que les thérapeutes ont eu besoin d’accéder à plus d’autonomie respective.
Dans cette dialectique, autonomie et dépendance, il s’avère, de manière très paradoxale, que l’autonomie des thérapeutes est d’autant plus grande que les liens qui les unit sont patents et forts.
Cette autonomie permettant de mettre encore plus en évidence leurs différences conceptuelles, cliniques et théoriques.

1er modèle : Double prise en charge intégrée

La réflexion qui va suivre concerne des jeunes enfants et leurs familles reçus au CECCOF dans le cadre de l’unité de thérapie familiale
Quelles difficultés cherchions-nous à résoudre lorsque nous avons mis en place « la double prise en charge intégrée » ?
Il s’agissait de consultations familiales à propos de garçons et de filles de moins de sept ans. Après quelques premières séances très actives, la participation de l’enfant diminuait significativement.
Les thérapies s’arrêtaient relativement vite ou se poursuivaient par une thérapie de couple ou une thérapie familiale à travers celle des parents sans que le symptôme de l’enfant ne s’améliore.
Notre pratique était vraisemblablement sous-tendue par l’idée qu’en aidant les parents à mieux se positionner, à prendre conscience de leurs ambiguïtés éducatives, à mieux communiquer sur ce que cet enfant représentait pour eux et dans leur couple, on allait régler le problème de l’échec scolaire, d’une énurésie, d’une agitation constante.

En soi, une telle conception n’est pas fausse, mais le 1er constat que l’on peut faire dans le cadre de ce travail est qu’elle n’est pas suffisante.

Le silence en séance de l’enfant en difficulté, est peut-être le seul moyen qu’il a trouvé pour continuer à être acteur dans son système familial. En se taisant, l’enfant oblige ses parents à s’exprimer – ce qui est une excellente chose – mais risque d’amener le thérapeute à penser que le problème est avant tout celui des adultes.
Si les choses se passent ainsi, nous comprenons pourquoi l’enfant a intérêt à garder son symptôme puisque d’acteur principal, il passerait, dès les premières séances, à un second rôle.

Regardons de plus près les spécificités des situations sur lesquelles nous avons envisagé la double prise en charge intégrée. Il s’agissait d’enfants, en difficulté scolaire, envoyés la plupart du temps par l’école. Les directeurs, psychologues scolaires ou rééducateurs adressaient à notre centre, non pas une famille, mais un enfant, éventuellement avec sa famille : la désignation individuelle était évidente.
L’enfant ainsi désigné, par sa famille et/ou son contexte scolaire, est tenu de jouer une certaine fonction, est prié – implicitement – de se maintenir dans une position particulière autour de laquelle le système famille s’organise, structure ses jeux relationnels, et garde des « pseudo-solidarités ».
En même temps, cette désignation permet à l’enfant d’exister, de jouer un rôle tant qu’il n’a pas d’énergie pour s’affirmer de manière différenciée et individuée. Le symptôme joue « parfaitement » sa fonction de maintien de l’homéostasie familiale. Les résistances au changement sont d’autant plus importantes que la plupart des interactions familiales seraient à recomposer.

Nous avons mis en place ces doubles prises en charge, en fait, lorsque se sont présentés des enfants ayant vécu un réel traumatisme, à la suite duquel ils manifestaient une forte inhibition et sur lequel ils ne pouvaient s’exprimer directement.

D’une manière générale, ces enfants furent donc victimes de violence, directement ou indirectement, de rapt, d’abandon, d’abus sexuel. Cela n’est pas forcément compatible avec la mise en place d’une thérapie familiale, qui peut relativiser le traumatisme de l’enfant, et gommer toute une part importante de sa souffrance, de son vécu, d’autant qu’il n’est pas en mesure de le verbaliser, ni d’envisager sur le plan conscient la part de la famille actuelle dans ce qu’il a subi.
Mais rapidement, on s’aperçoit qu’à côté ou en lien avec ce traumatisme, chacune de ces situations familiales a une histoire particulièrement lourde, et/ou complexe.

Jérôme est un garçon de 5 ans avec des troubles sérieux du comportement. Il désorganise sa classe qui le rejette de toute évidence. Il est issu d’un couple qui a peu vécu ensemble. La mère est partie de la maison quand Jérôme avait 2 mois. Son ami alcoolique pouvait la battre ou lui imposer, sous la menace, des relations sexuelles.

Jérôme est élevé par une mère très soumise à sa propre mère. Il a des contacts réguliers ave un père « inconsistant » qui a tendance à se mettre sur le même plan que lui d’où une confusion des générations, et l’absence de support identificatoire dans un système où les processus de filiation sont momentanément bloqués.

En fait, ces familles se considèrent comme non responsables de ce qui leur est arrivé, donc comme victime d’un responsable absent, ou qu’on s’est arrangé pour exclure.
Ainsi, il s’agit d’enfants fortement « patients désignés », ayant subi un traumatisme, élevés par une famille qui se perçoit aussi comme victime, face à des évènements sur lesquels elle estime ne pas avoir eu prise ; famille qui pour autant se pose comme le « sauveur » exclusif de l’enfant ; le lieu où la « réparation » d’un lourd destin est possible, ce qui justifie la démarche thérapeutique et structure tout un ensemble de conduites.

Le sentiment de la temporalité est donc tout à fait particulier dans ces systèmes et comporte un paradoxe, une contradiction interne qu’il importe de relever. Face à l’irréversibilité des évènements traumatogènes, les familles manifestent la volonté de « re-donner naissance » à l’enfant. Pour eux, tout commence, ou presque, à partir du temps du traumatisme. Notamment, c’est là que s’origine une relation nouvelle à l’enfant, la prise de conscience de leur engagement à son égard.
Alors même que, pour l’enfant, tout ou presque s’est arrêté à l’instant du traumatisme, en tout cas, pour le moins, la relation avec l’un des deux parents. Pour les uns, le traumatisme est départ, pour l’enfant, il est cassure, destruction. Le vécu de la temporalité comporte donc, au cœur du système familial, un antagonisme. La famille est dans une logique de reconstruction des liens, de responsabilisation.

L’enfant doit faire le deuil de ce qu’il a perdu, de l’absence de responsabilité de l’un des deux parents à son égard.
Primat du futur pour les uns, crispation sur un passé difficile à métaboliser donc à dépasser psychiquement pour l’enfant.
Ce paradoxe, une fois énoncé, nous semble en même temps essentiel. C’est parce qu’il y a ces deux logiques qui se confrontent que l’enfant va pouvoir se réinscrire dans son histoire.
Ces deux logiques sont irréductibles et il ne nous semble ni judicieux, ni possible de chercher à réduire l’un à l’autre. Il nous a semblé important de les rendre plus souples, plus mobiles de façon à rendre « supportable » pour tous, leur confrontation, au cœur de laquelle peuvent émerger des forces créatives du système.

C’est ce qui nous a conduit à envisager une double prise en charge : simultanée et intégrée au CECCOF.
– Une prise en charge individuelle, pour aider l’enfant dans tout son travail d’élaboration psychique, menée par le thérapeute individuel seul,à raison d’une séance par semaine.
– Une prise en charge familiale, pour permettre aux liens de se recomposer de manière la plus ouverte possible, menée par le thérapeute familial. Les séances peuvent être relativement espacées, et les participants peuvent changer au cours des consultations. Le thérapeute individuel peut être amené à participer à ces séances, mais très rarement.

Jusque là, dans la mesure où l’identité du CECCOF est avant tout celle d’un centre de thérapie familiale, nous scindions les traitements en envoyant à l’extérieur en thérapie individuelle, sans forcément garder ou entretenir des liens particuliers avec le thérapeute de l’enfant, et en se réservant la prise en charge familiale. Cela nous a amené à plusieurs constats.
Rapidement, nous constations souvent l’abandon d’une des deux prises en charges avec l’impossibilité de les faire coexister dans le temps, et la difficulté pour les protagonistes d’investir à la fois deux lieux thérapeutiques.
Est-ce d’ailleurs la difficulté des protagonistes familiaux ou les thérapeutes dans leur contre-transfert réciproque : le thérapeute individuel peut progressivement avoir à la lumière de la prise en charge qu’il conduit une idée des parents qui ne correspond pas à celle des thérapeutes familiaux.
Il peut aussi voir l’intérêt d’une prise en charge parentale mais la présence de l’enfant peut lui apparaître comme néfaste pour l’évolution de ce dernier – et le travail qu’il fait avec lui.
Dans un tel contexte, la double prise en charge scindée peut mettre involontairement en concurrence la nature des prises en charge et peut développer indirectement de la symétrie entre les thérapeutes, avec l’idée que cette symétrie rappelle à l’enfant des symétries implicites ou explicites qu’il a vécues ou qu’il continue à vivre avec les adultes présents ou absents, autour de lui – ce qui ne peut en aucun cas être thérapeutique.

La pratique montre que cette double prise en charge scindée, avec des échanges entre les thérapeutes – tel que cela fonctionne couramment en clinique ambulatoire ou en Institution – ne permet pas facilement le maintien des contacts entre professionnels.
Rapidement, la préoccupation devient davantage celle de la séparation des cadres thérapeutiques plutôt que l’imbrication des niveaux individuels et familiaux qui permet de saisir la complexité des symptômes présentés.
Pour ces raisons, nous sommes passés « d’une double prise en charge scindée » à une « double prise en charge intégrée » que nous définissons ainsi : la prise en charge individuelle et la prise en charge familiale sont conduites dans le même lieu – même Institution ou même cabinet – par deux thérapeutes conjointement engagés dans le processus thérapeutique.

Du côté de l’enfant et de la consultation individuelle

Le thérapeute d’enfants avait été présenté à la famille au cours de la séance familiale précédente où la double prise en charge fut proposée.
La salle où l’enfant est reçu est celle où se tient à la thérapie familiale. Elle est aménagée alors spécifiquement : présence de jouets, matériel de dessin.
Ce contexte ludique favorise et/ou est favorisé par un transfert positif au thérapeute.
Comment faire en sorte que cette ré-création soit aussi une re-création ?
Pour effectuer ce travail intrapsychique qui devrait permettre à l’enfant – atteint dans son intégrité – d’accéder à l’unité de son Moi, de dépasser ses angoisses de morcellement, sa position de persécuté-persécuteur, l’option des thérapeutes est de solliciter l’imaginaire de ces enfants.
Parce qu’elle l’aide à se libérer de ses premières images et l’ouvre sur une prodigalité de nouvelles images, l’imagination permet à l’enfant de re-composer ses représentations. Elle n’est pas une fuite du réel, mais elle permet de le re-fonder.
Invité à produire, créer, inventer, l’enfant se pose petit à petit en acteur, et peut désormais percevoir de nouvelles perspectives et s’ouvrir vers un potentiel jusque-là insoupçonné. En un mot, il peut s’inscrire de nouveau dans la plasticité de son développement psycho-affectif ; remettre son histoire en mouvement. Par l’imagination, l’enfant peut transformer ses angoisses en désir car il peut changer son rapport au temps et à l’espace. De quelle manière ?

Au cours de ces doubles prises en charge, l’enfant s’aperçoit qu’un même lieu peut être investi, ressenti différemment ; qu’une même salle peut être le lieu d’échanges différenciés.
Métaphoriquement, il expérimente le fait qu’une chose peut être à la fois identique et à la fois différente. Au-delà des changements, une permanence est possible, et ce qui fait le lien entre tout cela, c’est lui, sollicité en tant que sujet capable de cohérer ses expériences disparates.

L’enfant va également expérimenter que ce qui différencie les contextes, ce n’est pas tant l’espace lui-même mais ce sont les règles, c’est-à-dire les limites symboliques.
L’accès à la symbolisation se fait donc « tranquillement » comme allant de soi, au fur et à mesure qu’il découvre que l’espace prend un sens particulier selon les règles implicites qui s’y appliquent et il perçoit d’emblée que seul avec Nicole, cela ne se passe pas de la même manière qu’avec le thérapeute familial et toute la famille.
Son propre rapport à la loi peut s’en trouver modifié.

L’enfant qui a souvent subi dans son corps la transgression des interdits peut commencer à construire des défenses psychiques en internalisant des bons objets.
Au début, l’enfant dans ses jeux met en scène un monde mauvais et se perçoit lui-même comme mauvais.
Petit à petit, les méchants vont en prison – il s’érige lui-même en loi et garant des règles. Il commence métaphoriquement à structurer son histoire et à la cohérer tout en se renarcissisant.

Ici, plusieurs modes d’expression sont proposés. La parole n’a pas la prévalence qu’elle a dans l’autre contexte thérapeutique. Pour permettre à l’enfant de recréer un rapport à lui-même, il ne suffit pas qu’il pose la différence entre le dedans et le dehors, il faut qu’il puisse aussi réinvestir de l’intérieur de son corps à travers le jeu.

Plus présent à lui-même, plus apte à se protéger, l’enfant peut davantage être présent à l’autre. Le corps propre de l’autre, sa proximité peuvent ne plus être ressentis comme menaçants. Les liens ne sont plus synonymes de risques.

La thérapie de l’enfant se passe sous le sceau du « secret ». Les enfants, d’ailleurs, ne manquent pas, bien souvent, de s’assurer que la porte est bien fermée, qu’on « n’entend rien derrière », que les caméras ne fonctionnent pas. (encore une différence qu’ils perçoivent bien entre les deux contextes thérapeutiques).
L’espace « clos » ici, créant un univers régressif et protecteur dont ces enfants ont besoin à un moment donné.
Le contrat « moral » est clairement exprimé dès la première séance par le thérapeute : « tu sais, ce que nous allons dire ici, ce que nous allons dessiner ensemble, ça nous appartient à nous deux. Tu peux en parler à tes parents, tu peux aussi ne pas en parler. Moi, je garderai le secret. Si avant une séance avec ta famille, il me semble que quelque chose d’important doit être évoqué, on en discutera ensemble d’abord ».
Ce secret-là est donc construit à deux ; mais il demeure ouvert. Thérapeute et enfant peuvent en parler, le verbaliser, il est objectivable.
Le renforcement de la dyade qui s’opère alors permet surtout à l’enfant de « prendre le risque » de dire ou de taire. Fort de cet étayage, il est seul face à sa responsabilité vis-à-vis de ses parents. Il fait l’apprentissage du choix. C’est en ce sens que le secret – en tant que processus – peut s’avérer structurant pour l’enfant.
Il expérimente qu’il peut penser et choisir de garder pour lui ses pensées, ses secrets. Il est légitimé même dans cette possibilité d’avoir des pensées intimes, à lui. Ce qui compte, c’est moins le contenu de ce qu’il garde, que la possibilité même de faire un tri adapté, utile pour lui, entre ce qu’il est bon de dire et ce qu’il est bon de taire.
Détenir un secret avec le thérapeute, par exemple constitue alors un acte de séparation, donc de maîtrise. Cela instaure un nouveau mode d’être pour ces enfants qui furent victimes. Pour être structurante, et non pathogène, cette maîtrise précisément doit être validée. Il faut que la détention du secret soit reconnue par l’autre et qu’il y ait possibilité d’en parler.
D’un côté, conserver ce type de secret aide l’enfant à garantir son intimité propre, d’un autre, cela l’aide à être capable de le partager, assurer le lien et la socialisation. Ces deux fonctions du secret, pour autant qu’elles sont antagonistes, sont complémentaires. Le flux entre les deux pôles est donc incessant, entre fabrication et extériorisation, entre intégrité et altérité.
Il y a des choses à taire, à un moment donné, qui peuvent être dites à un autre moment. De la même manière, il y a des choses à dire à certaines personnes, par à d’autres. Cette mobilité de perception peut aider l’enfant à se libérer du poids du secret du traumatisme. Sans être culpabilisé de s’être tu, il peut être amené à choisir de dire ce qui l’encombre, au moment où il se sent prêt à le dire. Il se retrouve donc légitimé à la fois dans son besoin de se taire et dans son besoin de parler.
Tous ces rappels sont surtout évoqués pour faire émerger les questions que cette double prise en charge intégrée pose. Comment ne pas « trahir » l’enfant au cours des séances familiales ? Comment travailler avec la famille sans livrer de secrets que l’enfant n’est pas prêt à partager avec sa famille ? Comment passer d’une préoccupation intrapsychique à une préoccupation interrelationnelle ?
L’enfant, sollicité dans son imagination doit au cours des séances familiales être confronté à la réalité des jeux et enjeux relationnels. Si ce mode d’approche peut ouvrir sur un apprentissage de la complexité, de quelle manière est-ce possible ?

Du côté de la thérapie familiale

Sur le plan conscient, ces secrets ou non-dits sont souvent présentés comme un moyen de protéger l’enfant victime ou les autres enfants de la fratrie recomposée. « On ne parle pas pour ne pas leur faire mal ».
Mais ce qui se révèle en réalité être une difficulté à prendre en compte la souffrance, à l’entendre, à la dire, en un mot à l’affronter, risque non seulement de constituer un déni, une dénégation du mal subi, mais risque aussi d’être une protection illusoire, fictive.
En effet, les processus de transmission, les chaînes associatives, sont interrompus ou pervertis à l’intérieur de la famille. Restant secret pour une partie du groupe, le traumatisme peut constituer une sorte d’objet fétiche de la vie familiale qui verrouille les échanges et perturbe la transmission, voire les processus de filiation.
Il peut y avoir alors construction d’un mythe, c’est-à-dire, en lieu et place d’une réalité trop douloureuse à affronter, le mythe enseigne, suggère, induit comment la réalité doit être lue à l’intérieur de la famille. Le mythe codifie « réglemente » le rapport à la réalité. Mais, là aussi, il conduit – ou renforce – une illusion.
Parce que le mythe permet à la famille d’élaborer ensemble un nouveau mode d’appréhension du réel, il crée l’illusion d’une cohésion. « On pense tous de la même manière », mais cette cohésion demeure fictive, elle s’établit sur « l’exclusion » de ceux qui ne partagent pas le secret. Le mythe est là pour faire « comme si nous étions tous semblables », or certains savent, d’autres non.
Les thérapeutes familiaux cherchent précisément à permettre à l’ensemble des membres d’affronter la souffrance, c’est-à-dire reconnaître la sienne propre, et celle des autres, pas seulement celle de l’enfant désigné.
En favorisant la méta-communication, les séances familiales permettent aux familles de rendre mobiles de nouveau les chaînes associatives. Cela a des conséquences intéressantes au niveau de la fratrie. Seules, les séances familiales permettent de regarder de plus près et de faire évoluer les positions des autres frères et sœurs qui ont pu développer, pour sauvegarder leur existence, des attitudes particulières.
Les mouvements fraternels sont importants, ils échappent en grande partie au thérapeute individuel quand il n’a que l’enfant en charge. Quand nous appréhendons donc directement les relations fraternelles, nous pouvons aussi autoriser une sœur plus âgée à exprimer sa tristesse, sa dépression et alléger alors le poids qui pèse sur le patient désigné. Nous pouvons aussi être amenés à changer de désignation.

Du côté des thérapeutes

La problématique posée au départ était paradoxale. Comment permettre à ces familles de recomposer des liens, alors même que l’enfant désigné avait vécu des expériences qui le situaient dans un modèle d’attachement inaccessible ?
Comment rendre possible ce qui avait été rendu impossible ?
Le fait que cette thérapie se déroule dans un lieu unique oblige davantage chaque thérapeute à s’affirmer dans sa différence, voire de renforcer ses antagonistes, sans pour autant « télescoper ».
La proximité, permettant une large métacommunication, offre la possibilité à chaque thérapeute de prendre appui sur le travail de l’autre.
Ces « enchaînements », ces « courtes échelles » respectives, offrent à la fois un étayage solide et une mobilité. Des réajustements permanents sont effectués entre les séances, sans pour autant qu’aucun des thérapeutes ne renonce à ses référents conceptuels, ni à ses positions de base.
En même temps, aucun modèle conceptuel ne se présente comme prévalent ; chaque thérapeute reconnaît, accepte la démarche de l’autre, la respecte à part entière. Parce que les différences se conjuguent, se respectent, ne cherchent pas à se dissoudre, il y a affrontement de la complexité et en même temps mise en œuvre de l’altérité.
Les thérapeutes « ouverts » à la perception de l’autre, ne renoncent pas à la leur, jouant avec les paradoxes, pour faire émerger de cette confrontation – et leur capacité de comprendre, d’intervenir – et les ressources des enfants et des familles.

Il se peut, par exemple, que l’un des intervenants ne soit pas d’accord avec l’autre thérapeute. En séance familiale, ce désaccord est posé clairement. Le thérapeute familial peut dire : « j’ai discuté avec la thérapeute individuelle, visiblement, nous ne sommes pas d’accord ». A nos yeux, ce désaccord ainsi exprimé est un vrai respect des différentes alternatives possibles pour les patients.
Même dans l’expression d’un désaccord, les paroles des thérapeutes se renforcent mutuellement. Comme deux parents qui ne sont pas d’accord mais qui pour autant ne détruisent pas leur cohérence de couple. Cette possibilité d’exprimer des positions différentes, en tant que thérapeute, dans un respect mutuel, sans exquisse de disqualification, nous semble d’autant plus importante que nous sommes souvent en face de familles dont les désaccords ont conduit à la rupture.
Peut-être, en envoyant aux patients le message que les thérapeutes ne sont pas d’accord, mais que pour autant ils continuent à travailler ensemble, l’enfant fera l’apprentissage de nouvelles situations qui l’aideront à dépasser son traumatisme. A contrario, les thérapeutes peuvent être d’accord tout en conservant chacun leur spécificité.

Au fond, comment être d’accord sans se fondre avec l’autre ?

A la différence du double lien scindé où on est d’accord le plus souvent pour ne pas être d’accord, en fait il s’agirait d’avantage d’être en accord plutôt que d’accord.
Le fait d’être concerné par la prise en charge d’une même situation engage très fortement chaque thérapeute. Cette double prise en charge intégrée interroge l’engagement des thérapeutes, donc leurs responsabilités singulières.
« S’engager, c’est accepter de s’exposer au pouvoir de l’autre. Aucun être n’est interchangeable, ce que je fais, personne ne peut le faire à ma place. Le nœud de la singularité, c’est la responsabilité que je porte et que j’agis. L’engagement, c’est l’altérité » (E. Lévinas). Cette mobilité des thérapeutes, cette possibilité de réajustement, qui ne sont pas vécues comme menaçantes, comment les familles le vivent-elles ? Cela lève-t-il leur résistance aux changements ? Cela les renforce-t-il ?
Dans ces thérapies, autour des enfants victimes, le plus souvent cela a permis de réintroduire de la souplesse dans les représentations respectives des membres de la famille.
Il y a ici prise en compte de la complexité de la situation, les approches individuelles et systémiques s’interpellent, la dimension intrapsychique, et la dimension interrelationnelle dialoguent entre elles, voire s’entrechoquent. Plus on favorise le processus d’intégration, plus on se place au cœur de la complexité des phénomènes. Moins on clive, plus on est dans le respect.
Dans ce que nous appelons « le 1er modèle », nous avons voulu, à propos de problématiques précises, permettre aux niveaux individuel et familial de s’exprimer et de s’élaborer à travers un dispositif technique intégrant au maximum les interventions du thérapeute individuel et celles de l’équipe de thérapie familiale – favorisant l’interdépendance des approches et une relative interdépendance des thérapeutes.

2ème Modèle : double prise en charge « couplée »

Peu à peu, nous avons « exporté » ce modèle au sein de notre activité libérale. Naturellement, les doubles prises en charge se sont mises en place différemment :

  • Au cours, ou à la fin d’une thérapie de couple ou de famille, les problèmes d’un enfant sont évoqués et semblent justifier d’un suivi individuel.
    Anna est une jeune adulte de 23 ans. C’est suite à une thérapie individuelle qui aurait fait émerger des allégations incestueuses ou incestuelles qu’Anna vient avec sa famille en thérapie familiale « pour mettre à plat ce problème dira-t-elle ». Après plusieurs séances s’écoulant sur un an avec les parents et la fratrie, et notamment après une séance au cours de laquelle elle eut des réactions émotionnelles et corporelles fortes, ses symptômes de saut d’humeur persistant, Bernard suggère à Anna de reprendre un travail individuel. Devant son refus de retourner voir sa précédente thérapeute Bernard propose deux noms de cliniciens ayant une approche plus centrée sur le corps. C’est peut-être ce qui amena Anna à s’engager avec un nouveau thérapeute individuel.
    La thérapie individuelle mise en place, la thérapie familiale s’arrête.
  • Au cours d’une thérapie individuelle d’enfants, quand le travail piétine.

Le travail individuel avec un enfant nous met toujours en interface avec la famille. Les frontières entre thérapie d’enfant et thérapie familiale ne sont pas faciles à définir clairement, elles sont plutôt poreuses, et se redessinent constamment.
Quand on travaille avec un enfant, on connaît physiquement la famille. Non seulement lors de la 1° séance, où la rencontre est formelle : l’enfant est reçu avec ses deux parents, – mais aussi chaque début et fin de séance donnent l’occasion de croiser soit la mère, le père, le petit frère, la grande soeur, la nounou, quelques fois les grands parents, quelque fois même le petit chien….
Ces échanges informels sont loin d’être anodins quand on les prend en compte. Entre la famille et le thérapeute de l’enfant, il s’y déroule un certain nombre d’interactions directes, quelques fois décisives pour l’évolution de l’enfant.
Bien des choses du fonctionnement familial s’exposent, se donnent à voir à entendre, de manière dense et rapide.
On pourrait presque dire qu’une part réelle du travail thérapeutique « se négocie » dans ces interfaces, dans cet « entre deux ».
Peuvent s’y déployer aussi bien les résistances familiales qu’une alliance thérapeutique.
Un enfant peut entendre que les changements nécessaires pour lui ne sont pas menaçants pour la famille. Au fur et à mesure, la thérapeute peut être amenée à ratifier ces changements à travers des paroles apparemment banales. Ou au contraire le « contrôle » parental peut être omniprésent, pour que rien ne change. L’enfant est ainsi placé dans une position totalement paradoxale : à la fois il est le patient désigné : « il faut le soigner » et à la fois, on demande que rien ne change, et surtout pas sa place dans la famille. Son symptôme ayant une fonction centrale dans l’homéostasie de la famille.
Le plus souvent ces rencontres informelles, suffisent pour transformer la fonction de l’enfant dans sa famille, mais quelque fois quand les structures sont trop rigides, rien ne bouge. Dans ces cas là, la thérapie individuelle suggère soit une thérapie de couple, soit familiale. Le fait même que la famille soit aidée, ou l’un de ces membres libère l’enfant-patient désigné d’être le thérapeute de sa famille ou d’un parent et ré-activera le travail individuel, en lui redonnant un espace plus ouvert.
Tom est un petit garçon vif et intelligent, mais récalcitrant à l’égard de toute autorité notamment celle émanant d’une femme, sa mère ou sa maîtresse. Visiblement, il reprend à son compte les positions paternelles, dans un jeu d’identifications sclérosantes pour lui. Après avoir rencontré plusieurs fois les parents, il est clair qu’il y a du côté de la mère et du père des souffrances non élaborées. L’enfant est instrumentalisé par le couple, mais pour rester la thérapeute d’enfant, c’est-à-dire au service de son individuation, la thérapie individuelle ne peut pas travailler davantage avec les parents. Ils entendent cela et acceptent l’idée de voir un thérapeute de couple.
Deux noms de thérapeutes de couple sont donnés
La thérapie de couple ne se mettra pas en place tout de suite. La thérapie de Tom continuera peu de temps pendant celle de ses parents.
Dans la plupart des cas traités au cours du « modèle 2 », il est toujours question de prise en charge d’enfant, d’adolescent et de leur famille, une étape de la vie où l’autonomie des jeunes sujets est en construction.

Que pouvons-nous dire à propos de ces doubles prises en charge couplées ?

Contrairement à la première étape, nous ne recadrons pas de suite la demande initiale des patients. Nous laissons les différents niveaux – familiaux et individuels s’exprimer au fur et à mesure du travail.
C’est-à-dire que nous laissons plus d’autonomie aux patients.
Ainsi, la double prise en charge n’est plus instituée d’emblée et simultanément ; elle est décidée de manière bilatérale, elle se mettra en place en deux temps.
En laissant le choix du thérapeute, on propose soit une nouvelle prise en charge qui prendra le relais de la précédente dans un autre lieu et avec les relations conventionnelles connues des thérapeutes soit, une nouvelle prise en charge qui va se réaliser dans le même lieu avec un thérapeute du même nom, ce qui bien évidemment distille une charge métaphorique et symbolique ayant toute son importance thérapeutique dans les cas traités. L’expérience montre que c’est presque toujours la dernière proposition qui est retenue.
Il ne s’agit pas d’une prise en charge intégrée, ni d’une prise en charge parallèle, encore moins d’une co-thérapie. Nous avons pensé à une prise en charge couplée.

Quelles hypothèses pouvons nous proposer ?

C’est quasiment toujours le thérapeute qui a le plus de liens avec le prescripteur qui est choisi, sans doute est-ce là l’effet de la confiance que le(s) patient(s) ont à l’égard de la première prise en charge mais aussi l’idée que la 2ème prise en charge ne sera pas trop différente de la première ce qui menace peut-être moins le ou la patiente.
Ainsi, contrairement à ce qu’on aurait pu penser : les liens entre les thérapeutes, quels qu’ils soient, ne gênent pas la mise en place de la nouvelle prise en charge.
Est-ce seulement l’effet de la confiance ?
Le même lieu, la même adresse, la même salle d’attente, le même nom, un couple dans la vie, deux numéros de téléphone, deux interphones, deux approches différentes…le cadre même de la thérapie couplée constitue un contenant psychique, un véritable espace transitionnel offrant une possibilité de déploiement des différences.
Tout cela illustre qu’autonomie et liens ne sont pas antimoniques, et au contraire, celle-ci se met en place dans la reconnaissance et la gestion des dépendance.
Autonomie des approches, liens évidents des thérapeutes.
Ainsi, en donnant plus d’autonomie aux patients, cela a permis aussi aux thérapeutes d’être plus créatifs, et de penser à des approches inédites et plus diversifiées.
Ce modèle continue à fonctionner.

3ème modèle. Double prise en charge d’adultes

Ce modèle ne concerne pas des enfants et leurs familles mais des hommes, des femmes et leurs couples dont la principale question concerne la continuation de la vie commune avec des souffrances particulières à chaque situation ou la décision d’une séparation est difficile à prendre.

  • Evelyne et Jean sont en thérapie de couple chez Bernard Prieur depuis 2 ans. Auparavant, le couple s’était séparé au bout de 6/7 années de vie commune ; après un laps de temps de plusieurs mois, ils décident de se revoir. Les contacts sont difficiles à reprendre. Evelyne est au départ autorisée à aller chez Jean uniquement un week-end par mois. Ces « droits de visite » sont élargis progressivement grâce à la thérapie mais les différences de valeurs des 2 protagonistes s’affirment : valeurs culturelles, valeurs religieuses, valeurs familiales. La thérapie de couple permet alors de faire évoluer sensiblement les valeurs de chacun.
    Evelyne décide d’aller consulter individuellement pour faire le point sur ce qu’elle veut décider : rester ou pas avec Jean.
    Comme à chaque fois, deux noms lui sont donnés : elle choisit … Nicole Prieur.
    Bernard Prieur l’entrevoit aussi certaines fois dans la salle d’attente. La thérapie de couple ne se poursuivra que quelques mois ; Evelyne ayant le sentiment que le thérapeute de couple « n’est pas de son côté », elle claque la porte de la salle de thérapie de couple, très mécontente du thérapeute.
    Plus tard, au cours d’une séance individuelle, elle exprimera sa gratitude à son égard, auprès de sa thérapeute individuelle, car cette séance tumultueuse lui aura permis d’activer sa décision de séparation. Elle téléphonera quelques jours après au thérapeute de couple pour le remercier « en direct ».
  • Matéo et Jeannine ont 2 garçons de 6 et 8 ans. Ils sont mariés depuis une vingtaine d’années. Mateo a un mal de vivre, insatisfait de la vie quotidienne.
    Ce qui lui reste comme famille, mère et sœur, vivent en Italie du Sud.
    Jeannine est française par son père, italienne par la branche maternelle.
    Elle ne sait plus quoi faire pour aider Matéo à qui elle est très attachée. La thérapie de couple va durer 2 ans.
    Elle aura contribué à diminuer le mal être des 2 protagonistes et débouchera sur une suggestion de thérapie individuelle à Matéo – avec 2 noms de thérapeutes.
    Ce n’est qu’un an et demi plus tard que Matéo prend contact avec Nicole Prieur. C’est au cours d’une discussion informelle que Bernard apprendra cela, et sera informé du fait que Matéo reste très attaché à Jeannine mais que des expériences homosexuelles de jeunesse reviennent à la conscience et troublent fortement ses choix affectifs du moment.
    Les choses se compliquent quand il y a 2 mois, Evelyne appelle Bernard Prieur pour le rencontrer et envisager une thérapie individuelle avec lui. La situation devenant de plus en plus dure pour elle, devant faire des choix professionnels mais aussi devant agir face à l’immobilisme de Matéo.
    Désarroi, longue réflexion de la part de Bernard convaincu qu’en la gardant, la métaphore du couple de thérapeutes pourrait être un contenant psychique important pour Evelyne et un atout thérapeutique non négligeable. Mais en même temps, la tâche sera loin d’être facile « dans ce chassé croisé thérapeutique.
    Avant le 2ème rendez-vous, Jeannine apprend à Bernard par téléphone que le couple ayant l’opportunité d’un studio familial, a décidé de vivre séparément géographiquement à partir de juin.
    Ce projet précis de séparation est concomitant au démarrage de la thérapie de Jeannine dans le même cabinet que celui de son mari, mais avec un autre thérapeute.
Qu’est ce que ce 3° modèle nous apprend ?

Les liens réels et métaphoriques qui existent entre les deux thérapeutes, l’unité du lieu thérapeutique ne sont pas une entrave au travail de séparation du couple, au contraire il semble que cela puisse servir paradoxalement de « garant » à la mise en place d’une « bonne séparation ».
Est-ce la force de la différence qui existe entre les thérapeutes, est-ce le réel de leur indépendance théorique, est-ce le respect mutuel de chacun, la non confusion des divers niveaux travaillés, qui permet, facilite la différenciation de chaque patient et l’acceptation de ses propres limites.
Evelyne, par exemple, a fini par accepter l’idée que compte-tenu de ce qu’elle est, de ce à quoi elle ne peut pas renoncer, compte-tenu de ce que Jean est, et de ce à quoi il ne peut pas renoncer, la vie en couple demeure impossible.
Pour ne pas se trahir elle-même, la rupture s’impose à un respect de sa propre différence qu’elle ne peut plus laisser « se perdre » dans un idéal de couple qui se révèle irréalisable avec Jean.

En conclusion

L’existence de liens forts entre les thérapeutes, non seulement n’entrave pas mais au contraire peut permettre d’autant plus l’expression de leurs différences.
Les point suivants sont toutefois importants pour retenir notre attention :

1. Les liens ne viennent pas entraver l’indépendance des thérapeutes. Finalement, c’est de ces cas dont on parle le moins ensemble, même informellement. On ne sait pratiquement rien de ce qui se passe dans la salle d’à côté.
Il y a une véritable pacte de non intrusion, de non contrôle respectif.
Et cette règle là, nous la respectons, mais il est important que les patients la respectent sinon le cadre thérapeutique éclate.
C’est une des limites de ces prises en charge couplées.
Alain est venu en thérapie individuelle, après que Bernard ait proposé aux deux membres du couple de faire chacun de leur côté un travail individuel. Mais il s’est engagé dans un travail personnel avant tout pour tenter de contrôler, critiquer le travail « d’à côté », essayant de transformer la thérapeute individuel en messagère, médiatrice auprès du thérapeute de couple dans le but de faire entendre ce qu’il ne parvenait pas à faire entendre en séance de couple…. et bien sur, il espérait, dans une parfaite symétrie dont il ne parvenait pas à se défaire, il espérait qu’ayant entamé une thérapie individuelle, sa femme le suivrait, car selon lui, c’était elle avant tout qui en avait besoin… Ayant compris qu’il ne pouvait parvenir à cela dans le cadre de sa thérapie individuelle, il a repris le travail de couple.

2. Les différences se complémentarisent naturellement. Nicole, sensibilisée à la systémie, au transgénérationnel, et Bernard l’est à l’Hypnose. L’articulation entre les différents niveaux que nous travaillons respectivement se fait simplement, pour plusieurs raisons. Il y a une régulation implicite.
Sans doute parce que nos approches sont moins antagonistes que certaines.
On pourrait évoquer aussi le fait que le Ceccof depuis tant d’années n’a de cesse de s’ouvrir lors des journées cliniques aux autres approches thérapeutiques, on finit par faire tomber les murs des chapelles ;
Sans doute aussi parce que nous avons une véritable complicité intellectuelle, et connaissance réciproque. Mais ce qui me semble premier, c’est le fait que nous ayons un socle commun de ce qu’on pourrait appeler – des valeurs éthiques.

3. Partage d’une même éthique, qui se traduit par une position thérapeutique relativement proche même si nous ne travaillons pas les mêmes niveaux.
Il s’agit à la fois d’un engagement plein et entier, d’une implication réelle via une présence active auprès du patient, du couple ou de la famille, mais en même temps, on ne veut rien pour eux.
Comme l’explique clairement F. Roustang : « la guérison, c’est l’affaire du patient »
Le partage d’une éthique commune semble être la pierre angulaire de ce travail de double prise en charge. La référence à une conception partagée de l’homme sert d’écrin à l’expression des différences.

Tout ceci fait que cette pratique réintroduit du jeu c’est-à-dire de la souplesse, de la créativité en un mot de la liberté dans le système thérapeutique

* Bernard PRIEUR, Psychanalyste, Thérapeute familial, Directeur fondateur du CECCOF (Centre d’Etudes Cliniques des Communications Familiales). Auteur de « L’argent dans le couple », Albin Michel, juin 2007.