Même si depuis notre enfance le temps passe pour nos parents autant que pour nous, vient un temps, parfois difficile, de prise de conscience de leur vieillissement.
« J’ai toujours connu ma mère active et dynamique, remarque Claire, 57 ans. Elle est le moteur de la famille sur lequel mon père, ma sœur et moi nous sommes toujours reposés. Il a fallu une fracture du col du fémur à 79 ans pour que je prenne conscience, le cœur serré, que, comme mon père, elle vieillit. Sa plus grande fatigabilité et son retrait perturbent l’équilibre familial. »
Le souci change de camp
Comme Claire, nombreux sont celles et ceux qui n’ont pas vu ou pas voulu voir les cheveux blancs, les rides, la fragilité de leurs parents dans un déni protecteur. Leur vieillissement annonce en effet des changements importants. « Certains finissent par le percevoir seulement lorsque les loyautés s’inversent et que ce sont dès lors les parents qui ont besoin des enfants et non plus l’inverse, note Nicole Prieur, psychothérapeute, autrice des Trahisons nécessaires (Robert Laffont). Le processus de protection s’inverse, le souci change de camp. »
La pandémie de Covid a souvent accéléré cette prise de conscience face à l’évidence que les plus âgés étaient les plus vulnérables face à la maladie. En découle une inquiétude accrue et une obligation de s’occuper davantage d’eux, même s’ils demeurent autonomes. « J’avais toujours imaginé que ma mère prendrait en charge mon père devenu vieux, complète Claire. Mais je prends conscience qu’il n’en sera rien. Non seulement, il reviendra à ma sœur et moi de nous occuper de lui, mais aussi d’elle, ce que bizarrement je n’avais jamais envisagé. »
Percevoir autrement notre avenir et notre passé
Faire face à cette évolution des parents entraîne d’autres conséquences sur notre psyché. « Leur vieillissement nous renvoie à notre propre vieillissement et à notre propre finitude, souligne Nicole Prieur. Qu’ils se portent mal nous amène à nous interroger sur notre devenir et notre éventuelle dépendance. » Deux craintes, en apparence paradoxales, peuvent dès lors cohabiter: la peur de peser sur nos enfants, de représenter un poids pour eux, mais aussi la peur de ne pas pouvoir compter sur eux comme nos parents peuvent compter sur nous.
S’esquisse avec la perspective de la perte des parents une autre plus souterraine. « Que l’entente avec eux soit bonne ou non, ils représentent le lieu de notre enfance, de ce que nous avons été, de là où nous nous sommes construits, explique Nicole Prieur. Leur existence parle de nous, nous enracine. Les regarder vieillir, c’est se rapprocher de la perte de ce socle primitif. »
Se préparer à l’inéluctable
Comme en (quasiment) toute chose, faire face au vieillissement de nos père et mère recèle aussi des bénéfices. L’image du parent parfois autoritaire, puissant ou distant peut s’effacer pour laisser émerger une figure adoucie par ses fragilités, ce qui permet souvent des rapprochements. « Accepter que nous allons devoir faire sans eux peut s’accompagner enfin de l’acceptation de ne pas recevoir d’eux ce qu’ils n’ont pas su donner (tendresse, attention, etc.), indique Nicole Prieur. En acceptant le vieillissement des parents, nous les libérons du souci qu’ils peuvent avoir pour nous. En nous affranchissant des regrets, des rancœurs et des ressentiments envers eux, nous libérons nos enfants des attentes reportées sur eux. »