Partir en vacances avec des amis, pour se fabriquer des éclats de rire et des souvenirs, pour le plaisir de se voir plus souvent. Bonne idée ou prise de risque ?
Et si on partageait une location à deux familles cet été ? Barbecue tous les jours pendant que les enfants joueront ensemble ! Pour la bande de copains en fin d’études, ce sera un tour d’Europe sac à dos. Pour les trois sœurs et leurs maris : des bungalows au camping et des tournois de pétanque. Il est tentant de partir en vacances avec une autre famille, un couple, un groupe de copains ou son meilleur ami : cela permet de casser les habitudes, de sortir un peu du tête-à-tête conjugal, ou tout simplement de passer du temps avec des gens que l’on aime bien et qu’on voit trop peu dans l’année. Et puis cela convoque des clichés de vacances idéales, on fantasme de chouettes moments de partage comme au cinéma : ambiance « Camping » (avec Franck Dubosc), douce nostalgie avec « Les petits mouchoirs » (de Guillaume Canet) ou joyeux délires comme dans « Les Bronzés » ?
« Quand nous sommes adulte, l’amitié participe à l’équilibre de l’existence, » rappelle Nicole Prieur, philosophe et psychothérapeute, dans « Les Trahisons nécessaires » (éditions Robert Laffont). « Les moments passés entre amis sont de véritables bouffées d’air dans une vie bien remplie entre famille, couple, travail. » Reste qu’il n’est pas anodin d’élargir les vacances en dehors du premier cercle, celui du conjoint et, le cas échéant, des enfants encore jeunes.
Une amitié mise à l’épreuve
Au-delà des projets de loisirs partagés, randonnées, bronzage ou apéros, cela signifie aussi un partage de temps et d’espace personnel qui peut mettre l’amitié à l’épreuve. Et pas seulement à cause de la corvée de vaisselle…
En effet, vivre à plusieurs, même si ce n’est que pour une semaine, c’est plonger direct dans un accélérateur temporel et émotionnel. Tout va plus vite et plus fort quand on sort des routines du quotidien pour s’enfermer dans la bulle vacancière. C’est ainsi que des voisins de camping passent du statut de parfaits inconnus à super-copains qu’on se promet de revoir (ou pas). Alors les copains ou amis, frangins ou cousins adultes, avancent aussi d’un pas : ils passent du cercle de la décontraction sociale à celui de l’intimité.
Aux frontières de l’intime
Tous les espaces privés sont touchés : l’’intimité personnelle, quand on partage la même salle de bain et pour toutes les culottes, le même fil à linge ; l’intimité du couple, dont les conversations peuvent être entendues, mais aussi l’intimité familiale à travers l’éducation des enfants («Toto, pour la dernière fois, vient manger ! »). Or, tout comme nous avons besoin de maintenir des distances physiques avec autrui (cela s’appelle la proxémie), qui vont de 45 cm à 3,6 mètres selon qu’il s’agit d’amis, de connaissances ou d’inconnus ; nous avons aussi besoin de distances psychiques. De façon imprévisible, la promiscuité peut se révéler oppressante. On peut se sentir envahi. Même une amie très chère peut produire cet effet, ou si ce n’estpas elle, ce sera son mari… Nul besoin de disputes, la seule intersection des bulles personnelles de chacun provoque un sentiment de malaise qui facilite les tensions.
Or, celles-ci surgissent vite quand la cohabitation conduit à une confrontation de valeurs. On pense aussitôt au rapport à l’argent ou à l’éducation des enfants (Toto est vraiment désobéissant), mais il y a aussi les petites manies quotidiennes (Gilbert qui met toujours les pieds sur la table basse).
Des règles qui s’estompent
En société, les règles de la politesse et du savoir-vivre sont faites pour limiter les tensions et les envies de se coller des baffes façon village d’Astérix. Et de fait, elles fonctionnent assez bien avec des simples connaissances ou des copains un peu éloignés. Mais par définition, elles s’estompent avec les « familiers », le frangin, la cousine ou l’ami d’enfance, tous ceux avec qui « on ne va pas faire des manières » et dont on présume l’indulgence puisqu’ils nous connaissent si bien… Ne soyons pas pessimistes, bien souvent ça marche : les joies partagées font oublier les petites agaceries.
Mais pas toujours. De tendue, la relation peut alors devenir conflictuelle. Chacun revendique sa liberté d’être soi et vice -versa. De fait, si on ne peut pas se sentir libre en vacances, alors quand ? « Je ne vais pas supporter sa musique pourrie tous les soirs ! ». « La relation aux amis met à l’épreuve notre patience, notre souplesse et notre tolérance », explique Nicole Prieur.
Jusqu’où peut aller la franchise ?
La franchise est sans conteste la meilleure solution pour lever les tensions. « Mais jusqu’où peut-elle aller ? Jusqu’où est-elle utile, acceptable pour l’autre ? », questionne l’autrice des « Trahisons nécessaires ». « L’amitié nous renvoie à des dilemmes importants. Dire, ne pas dire ? » Pour éviter de vivre ce genre de dilemme, mieux vaut y réfléchir à deux fois. Avant. Et admettre éventuellement que les meilleurs amis ne font pas forcément les meilleurs compagnons de vacances. En revanche, quand ça fonctionne, on se donne vite rendez-vous pour les prochaines vacances. Et c’est comme au cinéma !